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En direct avec le Président : opération séduction pour François Hollande

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« Quatre Français au cœur de la crise » interrogeront également le chef de l’Etat – shutterstock.com

« C’est la première émission télévisée spéciale, donc elle est importante, bien sûr, à mi-mandat », aurait confié François Hollande à des journalistes, dans l’avion qui le conduisait d’Ottawa à Québec. Le chef de l’Etat aura 90 minutes d’émission en direct sur le plateau de TF1 pour tenter de reconquérir le cœur des Français. Comment doit-il s’y prendre ?

JOL Press : François Hollande est un président impopulaire. Peut-on mettre cela sur le compte d’une communication ratée ?
 

Christian Delporte : La communication est un outil d’accompagnement mais ne remplace pas la politique. On peut communiquer pour agir, on peut communiquer après avoir agi, mais c’est l’action qui décide de l’attitude de l’opinion à l’égard d’un président de la République. François Hollande a certainement commis des erreurs de communication mais elles sont marginales dans l’échec ressenti par l’opinion. La communication ne remplacera jamais la politique. La communication est d’autant plus efficace que l’opinion est réceptive, qu’elle est favorable à celui qui communique.

JOL Press : Quelle a été la plus grave erreur de François Hollande en matière de communication ?
 

Christian Delporte : Sa plus grande erreur, selon moi, c’est d’avoir annoncé l’inversement de la courbe du chômage avant la fin de l’année 2013. Quand on se fixe une échéance, elle devient extrêmement symbolique : soit elle couronne le succès, soit elle couronne l’échec. Se fixer de telles échéances est une prise de risque trop grande, en période de crise et de chômage important.

JOL Press : A-t-il su bien communiquer autour des différents scandales qui ont éclaboussé son début de mandat (Cahuzac, le tweet de Valérie Trierweiler, l’affaire Leonarda…) ?
 

Christian Delporte : Aujourd’hui un président de la République, sous le quinquennat, est toujours sur le terrain, il apparaît énormément. On pense qu’il ne peut pas faire silence mais il y a des moments où il peut et doit se taire. Dans l’affaire Leonarda, sans doute aurait-il été plus éclairé en n’intervenant pas lui-même. Pour se protéger, le président ne doit pas hésiter à mettre en avant ses ministres et en particulier le premier d’entre eux. La communication, ce n’est pas seulement des discours et du bruit, c’est aussi la culture du silence. Un président doit savoir intervenir au bon moment.

Quand il parlait de présidence normale, François Hollande souhaitait incarner le président qui interviendrait qu’à certains moments et se démarquer ainsi de Nicolas Sarkozy qui avait tendance à être très présent. Mais il a été rattrapé par la logique du quinquennat qui fait que le président de la République est le véritable chef de la majorité et aussi par la crise. Le contexte lui impose une exigence de parole. Le fait de le voir dans les médias ou à la télévision très souvent relativise sa parole et pénalise cette parole.

JOL Press : Le livre de Valérie Trierweiler a-t-il définitivement enterré le président en termes d’image ?
 

Christian Delporte : Avant l’affaire Trierweiler, un sondage BVA pour Le Parisien, en janvier 2014, montrait que si 31% des personnes interrogées jugeaient le président « compétant », 56% le trouvaient « sympathique » et 45% « proche des gens ». Il n’y a pas eu, à ma connaissance de sondage identique depuis, mais il va de soi que l’affaire Trierweiler est de nature à affecter le principal capital qu’il conservait encore : le capital sympathie. Je crois d’ailleurs que le plan com’ qui a été mis en place, et dont l’émission de ce jeudi fait partie, correspond à une forme de reconquête sur ce plan-là.

Quand il ouvre les portes de l’Elysée et qu’il parle simplement de manière transparente, c’est une façon pour lui de se faire proche des Français. Quand il fait une émission de télévision avec un journaliste plutôt connu pour ses portraits intimistes, c’est un signe (Thierry Demaizières, journaliste de l’émission Sept à Huit, devrait poser des questions d’ordre personnel au chef de l’Etat, lors de l’émission En direct avec le Président, sur TF1, ndlr). Quand il dit qu’il ira, par la suite, sur le terrain, à la rencontre des Français, c’est un autre signe. On est là dans la reconquête affective des Français.

JOL Press : Justement, cette émission sur TF1 est-elle une bonne idée ?
 

Christian Delporte : Quand on est à 13% de popularité, on n’a plus rien à perdre… Une émission toute seule ne va pas changer la donne. L’enjeu de l’émission est double : montrer que, contrairement à ce que l’on dit, le président sait où il va – s’il vient sans annonce il y aura beaucoup de déception – et donner un sentiment de proximité, en dialoguant avec quatre Français. François Hollande devra montrer qu’il comprend les problèmes des gens. Il doit être dans les annonces mais aussi dans l’écoute. Il y a derrière ce genre d’émission un enjeu d’écho : comment les médias vont en parler. Pour ceux qui n’auront pas vu l’émission, ils iront voir des extraits qui tourneront en boucle sur Internet. François Hollande arrivera donc avec des petites phrases, des formules et peut-être aussi avec de l’émotion.

JOL Press : Si vous aviez un conseil à lui donner…
 

Christian Delporte : Je lui conseillerais de ne pas brûler son capital sympathie, parce que c’est la seule chose qui lui reste. Les Français sont étranges, ils veulent des présidents normaux mais aussi des souverains. François Hollande doit réussir le difficile exercice d’apparaître comme un chef d’Etat proche des gens. En un mot, il doit retrouver ce qui avait fait sa force pendant la campagne présidentielle.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Christian Delporte est professeur d’histoire contemporaine à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Spécialiste de l’histoire des médias et de la communication politique, il est l’auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels La France dans les yeux (Flammarion, 2007), Une histoire de la langue de bois (Flammarion, 2009) et Come back (Flammarion, 2014).

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