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Et si, exécutant plutôt que stratège, François Fillon avait raté le coche dès 2012?

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Lors d’un déjeuner qui s’est tenu en juin à deux pas de l’Elysée, François Fillon aurait demandé à Jean Pierre Jouyet d’intervenir pour « accélérer » les poursuites judiciaires contre Nicolas Sarkozy. « Où Fillon a été le plus dur, vraiment le plus dur, c’est sur le remboursement que Sarkozy avait demandé des pénalités pour le dépassement des frais de campagne », aurait déclaré le secrétaire général de l’Elysée. « Fillon m’a dit, texto : ‘Jean-Pierre, c’est de l’abus de bien social. C’est une faute personnelle. Il n’y avait rien à demander à l’UMP, de payer tout ça.’ (…) Et puis il me dit : ‘Mais Jean-Pierre, t’as bien conscience que si vous ne tapez pas vite, vous allez le laisser revenir ?’ » Des accusations lourdes pour l’ancien Premier ministre et dont il aurait bien du mal à se relever.

JOL Press : François Fillon se trouve dans une position très délicate. Certains à l’UMP demandent sa démission de la présidence du parti. Doit-il le faire ?
 

Liliane Delwasse : Je ne sais pas s’il va y être obligé mais il devrait le faire. Il est certain que les sarkozystes sont bien contents de pouvoir plomber François Fillon un petit peu plus, car il reste un concurrent pour les primaires. Si primaires il y a, cela arrangerait bien les sarkozystes que Fillon se retire car il ne resterait plus qu’Alain Juppé et un arrangement  serait alors envisageable.

Quoiqu’il en soit François Fillon est dans une situation ahurissante : après avoir été le Premier ministre de Nicolas Sarkozy pendant cinq ans, après s’être roulé par terre pour rester, voilà qu’il part demander au secrétaire général de l’Elysée, Jean-Pierre Jouyet d’accélérer les procédure pour se débarrasser de lui. C’est énorme ! C’est scandaleux ! C’est vraiment le degré zéro de la politique ! Lui qui aimait passer pour un homme austère et pur, aux mains propres, en comparaison avec son ancien adversaire Jean-François Copé, le voilà capables de petits arrangements très critiquables à son tour.

Si l’information des journalistes du Monde Gérard Davet et Fabrice Lhomme est vraie, c’est une erreur stratégique de débutant et une véritable maladresse. Et à moins d’un miracle, je pense que François Fillon est mort politiquement.

JOL Press : François Fillon donne l’impression d’avoir fait de sa carrière une succession d’occasions manquées…
 

Liliane Delwasse : Je ne dirais pas cela. Je trouve, au contraire, qu’il s’est drôlement bien débrouillé par rapport à ce qu’il promettait de faire au départ. Il a commencé sa carrière politique comme assistant parlementaire, puis il n’a cessé, depuis 1993, d’être ministre  des gouvernements d’Édouard Balladur, d’Alain Juppé I et II et de Jean-Pierre Raffarin I, II et III. Les échecs sont assez rares dans sa carrière. Certes les postes qu’il a occupés étaient souvent techniques et peu exposés mais c’est ainsi qu’il a échappé aux petites histoires politiques.

JOL Press : Mais pour quelle raison n’a-t-il jamais eu le premier rôle ? Manque-t-il tout simplement d’envergure ?
 

Liliane Delwasse : C’est là tout le problème. François Fillon manque cruellement d’envergure. Il lui manque ce charisme qui lui permettrait d’entraîner les foules. Nicolas Sarkozy, malgré tous ses défauts, sait fédérer autour de lui. Fillon est un parfait technicien de la politique, il peut avoir de bonnes idées mais il lui manque l’essentiel.

JOL Press : N’aurait-il pas dû rebondir immédiatement en 2012 ? N’a-t-il pas perdu tout espoir de s’imposer dans sa famille politique en laissant Jean-François Copé lui voler sa victoire ?
 

Liliane Delwasse : D’une certaine manière, il n’avait pas tellement le choix. Il a tenté de créer un groupe parlementaire et comme il n’avait ni le nom, ni l’argent, il a dû abandonner son idée. Peut-être aurait-il pu en effet quitter l’UMP, partir pour mieux revenir, mais il n’en a pas eu le courage. Vous avez eu le bon mot : il manque d’envergure pour se mettre en avant et pour devenir président de la République a fortiori.

Il n’a pas été un mauvais Premier ministre : alors que Nicolas Sarkozy peoplisait la fonction présidentielle, qu’il était en permanence dans la rupture, dans les éclats, lui a gardé le cap avec beaucoup de dignité.

JOL Press : François Fillon ne serait-il pas un brin velléitaire, comme l’était son mentor Philippe Séguin ?
 

Liliane Delwasse : Velléitaire, non, parce qu’il n’a jamais été en situation d’être président de la République. Pour accéder à la magistrature suprême, il faut avoir un énorme réseau, mais aujourd’hui combien de personnes sont proches de Fillon ? Qui entend-on prendre la défense de l’ancien Premier ministre excepté le député du Val-d’Oise, Jérôme Chartier ? Fillon donne vraiment l’impression d’être un homme isolé.

Certains disent que Nicolas Sarkozy a tord de prendre le parti mais lui sait bien que pour aller loin il faut un parti, des fonds, une organisation et un réseau. Fillon n’a rien de tout cela. François Fillon n’est pas velléitaire, il n’a tout simplement pas la carrure d’un futur chef de l’Etat. Pour moi Philippe Séguin n’était pas velléitaire non plus ; avec son génie et sa culture, il aurait dû être président de la République mais c’était un grand caractériel.

En politique, les idées sont importantes mais c’est le tempérament qui compte. Et c’est ce qui fait défaut à François Fillon. Je l’ai vu en meeting, on n’a pas envie de le suivre. Contrairement à lui, Nicolas Sarkozy est plus dans l’émotion que dans la réflexion et c’est terriblement efficace.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Liliane Delwasse, journaliste politique, a collaboré au Monde, à L’Express, au Point, au Quotidien de Paris et au Canard enchaîné. On lui doit notamment Sylviane et Bernadette sont en campagne (avec Frédéric Delpech, Ramsay, 2001) et Quand les femmes prennent le pouvoir (Anne Carrière, 2006).

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