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L’armée française a-t-elle encore les moyens d’assurer sur tous les fronts?

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(Photo : Migel/Shutterstock.com)

Les militaires français sont engagés sur plusieurs fronts dans le monde. Alors que le budget des armées est en baisse, la France a-t-elle encore les moyens de ses ambitions ?
 

Philippe Chapleau : Globalement oui. Les forces françaises peuvent encore aujourd’hui assurer leurs missions.

Toutefois si nous décidions, par exemple, de nous impliquer sur le plan terrestre en Irak, cette question serait sans doute plus délicate en termes de disponibilité des effectifs et des matériels. Bien que cela soit annoncé, l’opération Sangaris en Centrafrique ne devrait pas se terminer aussi rapidement que prévu et nous assistons à une montée en puissance de l’opération Barkhane, nom donné à l’opération anti-terroriste régionale mise en place après l’opération Serval au Mali.

A la différence de l’opération Serval, l’opération Barkhane s’étend sur plusieurs pays de la bande sahélo-saharienne. Nous avons donc des troupes au Mali, au Tchad, au Burkina Faso et au Niger. Pour l’instant, près de 3 600 personnes sont mobilisées et ce chiffre pourrait augmenter.

Il ne faut cependant pas oublier toutes les personnes qui soutiennent ces forces, qui ne sont pas obligatoirement sur le théâtre et qui peuvent être au Sénégal, en Côte d’Ivoire et en métropole. Il y a enfin tous les hommes qui sont prêts à partir et tous ceux qui reviennent de mission. En fin de compte, trois fois plus de militaires sont engagées.  8000 militaires sont déployés en opérations mais ce sont près de 25 000 qui sont mobilisés.

Si un nouveau front s’ouvrait, la France n’aurait donc pas les moyens de l’assurer ?
 

Philippe Chapleau : La France a encore les moyens de ces ambitions présentes. Mais il serait très compliqué de tenir un effort suivi sur trois fronts terrestres majeurs : bande sahélo-saharienne, RCA et Irak.

Il ne faut pas oublier que nos forces sont également impliquées dans d’autres opérations peut-être un peu oubliées, mais qui sont tout de même consommatrices d’effectifs et de moyens, comme l’opération de maintien de la paix au Liban.

Si nous décidions d’intervenir au sol en Irak, il s’agirait d’une opération très lourde car il faudrait déployer des effectifs conséquents et, surtout, les équiper de façon très spécifique. Il faudrait par exemple des véhicules blindés anti-mines de type MRAP car nous savons que nous entrerions sur un terrain périlleux contre des ennemis assez fanatisés qui ne forment peut-être pas une armée traditionnelle mais qui ont les moyens de nuire et sont rompus aux techniques de la guérilla

Pensez-vous que les politiques français se dirigent aujourd’hui vers une intervention au sol en Irak ?
 

Philippe Chapleau : Pour le moment je ne pense pas. Tout le monde souhaite éviter une telle intervention, qu’il s’agisse des militaires ou des politiques. Politiquement cette décision serait délicate ; militairement c’est une opération qui pourrait durer très longtemps et qui se solderait par des pertes beaucoup plus lourdes que celles que nous avons connues pendant l’opération Serval au Mali.

L’opinion publique n’est sans doute pas prête à voir de nombreux cercueils revenir en France.

La loi de programmation militaire prévoit le budget de l’armée jusqu’en 2019. Pensez-vous qu’au terme de cette échéance, ce budget pourrait encore baisser ?
 

Philippe Chapleau : Pour la période 2014-2019, le président de la République a promis que le budget de la Défense serait sanctuarisé à 31,4 milliards d’euros. Voire plus en fin de LPM.

Or nous venons de nous rendre compte qu’il manque déjà 2,2 milliards à ce budget. En effet, lorsque les projections annuelles pour la Loi de programmation militaire ont été établies, elles prenaient  en compte un certain nombre de ventes exceptionnelles. On sait aujourd’hui que ces fameuses REX  ne seront pas au rendez-vous. Conséquence : sans elles, le budget annuel des armées s’établit aux alentours de 29 milliards. Cela signifie que les armées devront faire autant, voire plus, avec un budget diminué.

Par ailleurs, on admet enfin que les coupes dans les effectifs ne permettent pas de faire des économies aussi élevées qu’on ne l’avait espéré.

Il va donc falloir, encore une fois, couper dans les investissements. Acheter moins de matériel neuf et/ou moins bien entretenir le matériel existant. Ce qui est irresponsable.

En interne, on assiste à une nouvelle forme de lassitude des militaires. De plus en plus de lettres ouvertes circulent, la Cour européenne de justice a récemment répondu à la demande de certains militaires en leur affirmant le droit à la syndicalisation. Doit-on s’attendre à une révolte interne au sein des armées françaises ?
 

Philippe Chapleau : Je n’y crois pas. Si on regarde l’effet qu’a eu la décision de la Cour européenne de justice au sujet de l’affaire du chef d’escadron de gendarmerie Jean-Hugues Matelly et de l’Association de défense des droits des militaires, il n’y a eu ni grand soulagement ni espoir démesuré. Les militaires ont constaté l’intérêt que cela pourrait avoir en termes de concertation avec les états-majors et avec le pouvoir politique mais nous n’avons pas assisté pour autant à une exigence de « soviétisation » de l’armée française. L’armée reste aujourd’hui encore très légaliste et légitimiste.

En outre, les militaires français savent également que la situation économique leur est défavorable et qu’ils ne peuvent pas attendre monts et merveille du gouvernement car les caisses sont vides.

Cela ne signifie pas qu’ils acceptent tout mais l’armée est, dans son ensemble, assez réaliste.

Il y a cependant certains mouvements d’humeur, des coups de gueule des épouses, des gens qui se lâchent sur les réseaux  sociaux, des généraux en 2e section qui hurlent au scandale. Tout ça est  finalement salutaire car ça permet au ministre et aux états-majors de mieux mesurer l’état d’esprit des armées et la lassitude des militaires.

Propos recueillis par Sybille de Larocque pour JOL Press

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