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L’Europe dit non au «tourisme social», de quoi s’agit-il?

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La Cour de justice européenne a acté le fait que les Etats membres ne sont pas tenus d’octroyer des prestations sociales à des citoyens d’autres Etats membres quand ils s’y rendent pour bénéficier de ces aides – shutterstock.com

La Cour de Luxembourg avait été saisie en 2013 par le tribunal social de Leipzig, en Allemagne, à propos d’un litige opposant à deux ressortissants roumains, Elisabeta Dano et son fils, Florin, à l’agence pour l’emploi de Leipzig. Celle-ci refusait de leur octroyer des prestations sociales.

JOL Press : L’arrêt rendu mardi 11 novembre par la Cour de justice de l’Union européenne clarifie les règles concernant le versement des prestations sociales aux migrants intracommunautaires. De quoi s’agit-il exactement ?
 

Maryse Tripier : Certaines prestations sociales sont liées au travail, comme le chômage et la retraite, d’autres, dans le domaine de la santé, comme l’Aide médicale d’Etat ou le RSA, ne sont pas liées au fait de travailler. Cet arrêt risque donc de concerner en France l’Aide médicale d’Etat car c’est une aide qui se donne à ceux qui en ont besoin d’où qu’ils viennent. Avec cet arrêt, les Etats membres seront libres d’octroyer ou de refuser un certain nombre de « prestations sociales à caractère non contributif » uniquement pour les ressortissants « économiquement inactifs ». Ce qui n’est pas très clair c’est comment cet arrêt pourra être mis en pratique.

JOL Press : Que représente vraiment le « tourisme social » en Europe ?
 

Maryse Tripier : Le terme même de tourisme social ne me convient pas. Je suis persuadée que la plupart des migrants viennent dans un pays pour travailler. Pendant un des années les Roumains et les Bulgares ne pouvaient pas travailler librement dans l’ensemble de l’Union européenne – ce n’est plus le cas depuis le 1er janvier. L’expression « tourisme social » fait partie d’un chant lexicale xénophobe qui tend à faire croire que les étrangers viennent dans nos pays pour profiter du système et non pour travailler. Si certains sont prêts à mourir pour arriver dans un pays, c’est bien qu’ils recherchent du travail.

JOL Press : Croyez-vous que la Cour de justice de l’Union européenne s’est laissée influencer par des pressions anti-immigration ?
 

Maryse Tripier : La Cour de justice de l’Union européenne devait se prononcer sur le litige opposant deux citoyens roumains en Allemagne : Elisabeta Dano et son fils Florin qui souhaitaient recevoir des allocations qui leur étaient refusées au motif qu’ils ne recherchaient pas activement d’emploi et qu’ils ne pouvaient subvenir à leurs besoins. Certains considèrent cette demande comme de l’assistanat qui serait fait auprès de gens qui profitent du système. Certains pensent, en France, que scolariser des enfants de sans-papiers, c’est déjà trop.

JOL Press : Les migrants inactifs sont-ils nombreux en Europe ou ce n’est pas quantifiable ?
 

Maryse Tripier : La notion d’inactif ne recouvre pas la notion de chômeurs. Les inactifs sont des gens qui ne sont pas en âge de travailler : les enfants, les personnes âges auxquelles s’ajoutent les femmes qui ne cherchent pas d’emploi. Pendant très longtemps, les migrants n’étaient pas une population inactive car ne venaient en France que les personnes en âge de travailler, mais avec le regroupement familial, le nombre d’immigrés inactifs a beaucoup augmenté. Il y a plus d’inactifs qu’autrefois mais cela dépend si on parle de migrants ou d’étrangers, car certains immigrés sont devenus Français.

JOL Press : L’immigration est-elle un coût pour les pays accueillants ?
 

Maryse Tripier : Si on s’en tient aux sans-papiers, c’est du pur profit pour les gens qui les emploient à des salaires indécents dans des conditions épouvantables. Et dans certains pays l’avantage n’est qu’économique : en Allemagne l’avantage est aussi démographique. On peut penser que faire appel à la main d’œuvre étrangère, c’est tirer à la baisse les salaires des Français, tout ceci est très difficile à étudier précisément.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Maryse Tripier est professeur émérite de sociologie à l’Université de Paris7 – Denis Diderot.Elle a participé activement dès les années 70 au développement du domaine de la sociologie de l’immigration et des relations inter-ethniques en France, notamment comme directrice de l’Urmis jusqu’en 2002. Elle est co-fondatrice du DEA « Migrations : Espace et Société ».

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