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L’islamisme radical continuera à se développer en Afrique

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(Photo : africa924/Shutterstock.com)

Assiste-t-on à une montée de l’islam en Afrique ?
 

Philippe Hugon : D’une manière générale, il y a une montée du phénomène religieux en Afrique. Nous assistons à un renforcement quantitatif de l’islam, essentiellement sunnite, mais également des églises évangéliques et messianiques chrétiennes.

La montée de l’islam est surtout observable dans les pays déjà islamisés. Ce phénomène n’est en effet pas significatif dans les zones où l’islam n’était pas présent.

Depuis quand ce phénomène est-il observable ?
 

Philippe Hugon : Nous pourrions le situer après la chute du Mur de Berlin en 1989. Après cet événement, tous les pays initialement soutenus par le camp de l’est ont vécu une rupture.

L’Afrique a également entamé une période d’ajustement et de stabilisation marquée par une très faible croissance économique et de nombreux problèmes sociaux, l’Etat ne pouvant plus jouer son rôle, qu’il s’agisse de la prise en charge des systèmes de sécurité, d’assurance sociale, de santé, d’éducation etc. Ce vide de l’Etat a provoqué un recours croissant au religieux.

Les Etats qui se référaient au marxisme et qui se définissaient par des régimes laïques voire athées ont perdu leur poids alors même que l’Etat ne pouvait plus assurer ses fonctions. En face, une croissance démographique continuait à être extrêmement rapide et les jeunes prenaient de plus en plus de place, amplifiant donc ce phénomène.

Comment expliquez-vous que la montée de l’islam ait également provoqué une montée de l’islamisme ?
 

Philippe Hugon : En interne, des conflits de génération sont survenus. Les jeunes se sont opposés aux anciens mais également à leurs imams et aux référents d’un islam moins intégriste et davantage lié au syncrétisme. Ces jeunes ont été davantage séduits par un islam radical, plus intellectuel, l’islam des élites par rapport à l’islam rural. Certains d’entre eux ont été formés dans le salafisme, le wahhabisme, ou dans différentes formes d’un islam qui n’est pas celui de la tradition ancienne.

Ce phénomène se constate également par le développement du chiisme contre le sunnisme, au Nigéria ou au Sénégal.

La résistance du pouvoir des hommes par rapport aux revendications féminines a également été un facteur du développement de cet islam qui s’est traduit par un moyen de faire en sorte que la fécondité ne soit pas contrôlée par les femmes, que la polygamie soit tolérée, que le pouvoir des hommes soit maintenu. Bien avant que les problèmes liés au djihadisme ne surviennent, des luttes très importantes ont révélé ce phénomène au Mali.

D’un point de vue extérieur, des puissances pétrolières ont favorisé le prosélytisme en assurant la formation et le développement du wahhabisme. C’est une forme de « soft power » assuré par la présence en sous-main de l’Arabie Saoudite, du Qatar ou d’autres pays du Golfe.

Le monde actuel est également celui dans lequel la référence aux croisés, au djihad, a pris de l’ampleur. L’Afrique ne fait pas exception.

L’islamisme radical semble également être intimement lié au grand banditisme ?
 

Philippe Hugon : L’Afrique sahélienne, principalement, est devenue une zone de trafic non-contrôlé de drogue, de tabac, de voitures, de prise d’otages. L’économie mafieuse se cache derrière le djihad.

Ces deux phénomènes sont totalement liés. Il est plus simple de recruter des jeunes en leur vantant un idéal religieux que de les appâter avec le gain. Le religieux est ensuite instrumentalisé et justifie donc des activités criminelles, car pour développer ces mouvances djihadistes, il faut beaucoup d’argent.

Comment les Etats africains peuvent-ils combattre cet islamisme et ce djihadisme ? Sont-ils d’ailleurs assez forts pour mener ce combat ?
 

Philippe Hugon : Nous vivons dans le monde de l’information. Cette information circule partout et beaucoup de formations sont assurées de cette manière. Il est impossible de contrôler ces flux. La présence de djihadistes français en Syrie ou en Irak en est la preuve. Ces jeunes ont été recrutés par Internet et les pouvoirs sont totalement démunis face à ce phénomène.

Les Etats devraient alors s’attacher à renforcer les structures familiales. Il faut se méfier des mythes qui circulent sur la solidarité de la famille africaine. En milieux urbains, de nombreux jeunes sont abandonnés à eux-mêmes. Ils sont désocialisés et n’ont pas accès au système éducatif.

Les jeunes ont besoin de perspectives. Ils sont de plus en plus nombreux en Afrique, notamment ceux qui ont l’âge de se radicaliser. En économie, on appelle ce phénomène le « dividende démographique », qui définit le fait que la population en âge de travailler augmente. Mais cette partie de la population n’a pas de perspectives, elle est bloquée d’un point de vue politique par des présidents à vie et d’un point de vue économique car elle a très peu de perspectives d’emplois.

Il est aujourd’hui beaucoup plus facile, au Sahel, de rentrer dans un circuit mafieux, d’être valorisé par une kalachnikov que de nourrir d’autres ambitions.

L’islamisme devrait donc prendre encore de l’ampleur en Afrique…
 

Philippe Hugon : C’est certain, et les responsables religieux ont également leur part de responsabilité dans ce constat. Il faudrait que ces derniers condamnent haut et fort toutes les atteintes à la dignité de l’homme et de la femme. Or ce n’est pas encore le cas et pourtant, il est très important de revenir aux valeurs fondamentales de la religion pour qu’islam et islamisme ne se confondent pas.

Propos recueillis par Sybille de Larocque pour JOL Press

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