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Mexique: «L’image d’Enrique Peña Nieto s’effrite à l’international»

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JOL Press: Un mois et demi après la disparition des 43 étudiants dans la ville d’Iguala, des suspects ont avoué le massacre des jeunes. Que sait-on des commanditaires de ces assassinats ?
 

Gaspard Estrada : Selon les dernières informations rendues publiques, ce sont des corps de police municipaux qui auraient tué ces 43 étudiants, sous la pression des cartels de drogue de mèche avec les autorités politiques, notamment le maire d’Iguala, qui a pris la fuite et qui a ensuite été arrêté dans la ville de Mexico la semaine dernière.

Il faut bien comprendre une chose : au Mexique, il n’est pas impossible d’assister à des revirements de situation dans des affaires comme celle d’Iguala, comme ce fut le cas dans l’affaire de la discothèque du« New Haven », il y a deux ans.

JOL Press : L’annonce de l’assassinat des 43 étudiants a plongé le pays dans une grave crise politique. Cette sordide affaire révèle-t-elle l’incapacité du gouvernement à endiguer la violence au Mexique, mais aussi la collusion qui existe entre le gouvernement et les narcotrafiquants ? 
 

Gaspard Estrada : Aujourd’hui on sent une grande fébrilité du gouvernement mexicain dans cette affaire qui a considérablement nui à l’image qu’avait voulu se donner le gouvernement d’Enrique Pena Nieto: l’image d’un président réformiste, engagé sur des transformations positives du pays. Avec cette affaire on revient à l’agenda du Mexique des années 2000 : une image de violence, de crime organisé, mais surtout une image d’impunité.

Les autorités mexicaines veulent aller vite sur le volet judiciaire de cette affaire. Il y a une pression des membres de la famille et des proches des étudiants disparus qui souhaitent que les recherches se poursuivent parce qu’elles ne sont pas convaincues par la version du gouvernement. Vu l’ampleur qu’a pris cette affaire dans la presse internationale, le président mexicain est obligé de réagir et d’apporter des réponses à l’opinion publique, alors qu’au début, le gouvernement fédéral traitait ce crime comme une affaire locale où les autorités fédérales n’avaient pas à s’en mêler.

JOL Press : La colère gronde au Mexique : des manifestants ont incendié le siège du parti du président mexicain dans la capitale de l’Etat du Guerrero. La veille, d’autres manifestants avaient bloqué l’accès de l’aéroport international d’Acapulco. Que réclament-ils ?

Gaspard Estrada : Les manifestants souhaitent aujourd’hui une réforme des institutions pénales, de la justice, et la fin de la corruption. Cette affaire révèle l’impunité des personnes qui ont tué les 43 étudiants, donc la collusion du pouvoir politique local avec les organisations mafieuses, mais aussi une mauvaise coordination entre les Etats fédérés et le gouvernement fédéral ainsi sans parler de la  mauvaise capacité de l’Etat à découvrir ce qu’il se passe.

JOL Press : Cette affaire a-t-elle mis en lumière l’ampleur des cas de disparus au Mexique ?
 

Gaspard Estrada : Dans le cadre de cette affaire, des corps retrouvés ont été annoncés par le gouvernement comme les corps des 43 étudiants, mais ce n’étaient pas eux. Les chiffres avancés par les ONG montrent qu’il existe des dizaines de milliers de disparus au Mexique. Ces chiffres sont alarmants. Les médias parlent beaucoup de la violence au Mexique mais peu du phénomène des disparus.

JOL Press : Quelles sont les conséquences politiques de cette affaire pour le président mexicain Enrique Pena Nieto, qui en plein crise politique et sociale, a quitté son pays pour un déplacement en Chine et en G20 en Australie. Peut-on assister à sa démission, comme le réclament les manifestants ?  
 

Gaspard Estrada : Enrique Pena Nieto est certes affaibli par les sondages à cause de son mauvais bilan en termes de croissance économique du pays, mais le chef d’Etat mexicain disposait d’une assez bonne image dans la presse internationale en raison de son agenda de réformes au Parlement.

Aujourd’hui, cette bonne image internationale est en train de s’effriter. On redécouvre le Mexique comme un pays violent où on peut tuer impunément des gens, où la justice ne fait pas son travail. De ce point de vue-là, toute la stratégie de communication d’Enrique Peña Nieto qui visait à ignorer la question sécuritaire est en train de revenir comme un boomerang : la violence n’a pas disparu au Mexique. Je ne pense pas qu’Enrique Peña Nieto démissionne dans l’immédiat, mais il est assez clair qu’il sort affaibli: il perd la restauration dans la presse internationale de son action au Mexique.

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

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Gaspard Estrada est analyste politique, spécialiste du Mexique et des relations entre la France et l’Amérique latine.

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