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Que les Français reprochent-ils à François Hollande?

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Un sondage Odoxa pour RTL montre que les Français rejettent en bloc l’action du président de la République – shutterstock.com

Le président de la République sera jeudi prochain sur TF1 pour faire un point sur la moitié de son quinquennat. Mais quel bilan peut-on tirer de son action sur le terrain politique ?

JOL Press : Quelles ont été les belles réussites politiques de François Hollande?
 

Philippe Braud : La plus belle réussite de François Hollande, mais elle est déjà lointaine, c’est d’avoir emporté la course à la candidature présidentielle. Dix huit mois avant l’échéance, son soutien dans l’opinion publique plafonnait à moins de 5%. Parti de si bas il a pourtant triomphé d’adversaires redoutables au sein du PS : DSK (qui l’a beaucoup aidé…), Martine Aubry, voire Ségolène Royal et Arnaud Montebourg. Sa victoire sur Nicolas Sarkozy, déjà moins éclatante, portait en germe les désillusions futures de son propre camp. En effet, il n’a pu l’emporter qu’en tenant un discours qui était à la fois pleinement « de gauche » mais aussi pleinement décalé par rapport aux réalités économiques, européennes et internationales.

L’union monétaire au sein de la zone euro implique une discipline budgétaire collective, donc, la réduction de la dépense publique ; la relance économique, dans un contexte d’ouverture des frontières, exige un allègement des charges sur les entreprises pour qu’elles se retrouvent compétitives.

Le candidat François Hollande l’a emporté parce qu’il promettait tout à la fois de maintenir tous les acquis sociaux, de « faire payer les riches » (mais ils savent faire leurs bagages s’il le faut) ainsi que « les patrons », c’est-à-dire les entreprises en réalité, d’augmenter enfin la dépense publique pour relancer la consommation. Mais toutes ces recettes traditionnelles de la gauche sont illusoires dans l’environnement européen actuel. Et François Hollande président, le savait.

JOL Press : Quels ont été les plus importants loupés ?
 

Philippe Braud : Le premier c’est une communication trop  frileuse. Après quelques mois d’exercice, le Président s’est orienté vers une politique plus réaliste, impliquant de douloureux changements de mentalités dans le peuple de gauche ainsi que des sacrifices matériels, au moins dans l’immédiat. Mais il a opéré ce tournant de manière masquée, presque honteuse. Parler d’austérité était tabou. Il aurait fallu au contraire profiter de l’état de grâce du début de mandat pour adopter des accents churchilliens et dire : la crise que nous subissons est grave, très grave ; des efforts exceptionnels sont absolument indispensables pour enrayer le déclin ; tous, sans exception, nous devons prendre notre juste part du fardeau pour assurer un avenir à nos enfants.

Le second loupé se situe dans le style de prise de décision. Les Français en sont venus à reprocher davantage au Président son indécision apparente, le flou de sa stratégie, que le fond de sa politique. Pour être un Président apprécié, il ne suffit pas de passer pour « compétent » et « proche des gens ». Si ces deux traits sont indispensables, un troisième doit s’y ajouter : l’image d’un dirigeant « énergique », qui sait où il va, et qui prend les moyens de s’imposer. Hélas ! Sur ce point François Hollande est un total perdant. De nombreux couacs dans l’expression gouvernementale, des manifestations d’indiscipline ministérielle non immédiatement sanctionnées n’ont fait qu’aggraver l’impression négative qui s’est imposée dans l’opinion publique.

JOL Press : Valls à Matignon, une bonne idée ou une trahison de ses électeurs?
 

Philippe Braud : La nomination de Manuel Valls comme Premier ministre a eu l’avantage d’apparaître comme « un choc politique », de nature à faire progresser au sein du peuple de gauche la prise de conscience d’un nécessaire changement de mentalités pour s’adapter au monde tel qu’il est. Il rend visible le tournant opéré par le gouvernement vers une autre politique que celle, inefficace, du traditionnel étatisme économique.

Mais le désarroi de nombre d’élus et d’électeurs de gauche ne peut être surmonté que par des résultats tangibles sur le terrain. D’où le traquenard actuel : si Valls se montre trop timide dans les réformes de structures, il n’obtiendra pas d’indices concrets de sa réussite et il sera honni ; s’il se montre trop énergique, il risque une révolte ouverte des parlementaires. Seul le Président peut donner à son gouvernement quelque chance de réussir, en l’appuyant sans faiblir. Mais en aura-t-il la volonté ?

JOL Press : Doit-on s’attendre à un gros coup institutionnel, jeudi soir, comme le prédisent certains commentateurs ?
 

Philippe Braud : Je ne crois pas. Le style du Président me semble trop marqué par la prudence, si ce n’est la timidité. Mais quand les timides sortent de leurs gonds…

JOL Press : Et si, pour sauver son quinquennat, François Hollande choisissait de modifier le mode de scrutin des législatives? Comme Mitterrand avec la proportionnelle…
 

Philippe Braud : Ce serait à mon sens une erreur capitale. En son temps, François Mitterrand n’a pas échappé au grief, justifié, de tenter, par un changement in extremis des règles du jeu, d’amortir une défaite annoncée. La critique d’une telle décision se révèlerait encore plus ravageuse  en raison de la faiblesse de l’image du Président dans l’opinion publique. Pour sauver son quinquennat François Hollande ferait mieux de pousser jusqu’au bout les réformes de structures nécessaires, y compris les plus impopulaires, puisqu’il n’a plus rien à perdre désormais sur ce terrain. Avec le recul de l’Histoire, c’est plus tard qu’il pourrait se voir réhabilité.

JOL Press : Au regard de la situation, pourra-t-il se représenter devant les Français en 2017 ?
 

Philippe Braud : Non, je pense que François Hollande sait depuis un certain temps qu’il ne peut pas être le candidat de son camp. Jamais il n’aurait nommé Valls à Matignon s’il avait encore envisagé de se représenter. Car il installait dans la place un très redoutable rival.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Philippe Braud, ancien directeur du département de Sciences politiques de la Sorbonne, est professeur émérite des universités à Sciences Po Paris et Visiting Professor à l’université de Princeton (WoodrowWilson School).

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