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Taux d’emprunt: les marchés seront-ils toujours aussi cléments en 2015?

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La BCE est prête à tout pour sauver la zone euro – shutterstock.com

Les rendements français ne cessent d’enchaîner les records à la baisse. Comment expliquer ce phénomène ?

JOL Press : La France est-elle fréquemment sanctionnée par les marchés ?
 

Alexandre Baradez : Si on observe ce qui s’est passé ces dernières années, la réponse est non, au regard de l’évolution du taux d’emprunt de la France depuis 2012, année où la situation économique a commencé à se stabiliser au niveau du risque, avec l’intervention de la banque centrale européenne. Le taux d’emprunt de la France en 2012 était de 3%, malgré la dégradation de sa note souveraine par les agences de notations, et ce taux n’a fait que baisser : aujourd’hui on emprunte à 1,18%. Les marchés sont plutôt cléments avec la France, au regard de sa dette. Ils prêtent à la France et n’ont jamais prêté à des taux aussi bas.

JOL Press : Comment expliquer cette clémence ?
 

Alexandre Baradez : Cette clémence a de quoi surprendre, en effet, quand on sait que la France ne pourra pas atteindre les objectifs de 3% de déficits imposés par Bruxelles, quand on voit que la croissance française est très faible depuis un quelques années et que le rythme des réformes est jugé insuffisant. Mais si la France peut emprunter à des taux si bas c’est que la banque centrale européenne, depuis 2012, a mis en place une stratégie qui vise à défendre l’évolution de l’euro et la zone euro dans sa globalité. La BCE est prête à tout pour sauver la zone euro.

Par ailleurs, au regard de l’inflation qui est très faible au sein de la zone euro, la BCE assure qu’elle peut acheter des obligations souveraines, c’est-à-dire des dettes d’Etat. Cette assurance que la BCE peut intervenir sur les marchés pour lutter contre une inflation trop importante entraîne une baisse des taux, car quand la BCE achète des obligations, cela augmente la valeur des obligations. Ce mécanisme n’est pas propre à la France mais à tous les pays de la zone euro. La faiblesse de l’inflation peut aussi expliquer cette clémence : si les marchés estiment que l’inflation va rester basse dans la zone euro, on n’a peu de chances de voir les taux repartir à la hausse.

L’union européenne a pris un certain nombre de mesures depuis la crise de la dette dans la zone euro, entre 2010 et 2012, avec la flambée des taux en Italie et en Espagne. C’est ce qu’on appelle les parts-feux. Il en existe plusieurs comme le mécanisme européen de stabilité (MES), l’union bancaire qui vise à séparer le lien entre les Etats et le système bancaire, ou encore le programme OMT qui vise à intervenir, si besoin, sur le marché de la dette. Ces mesures d’envergure, prises au niveau européen, limitent au maximum la contagion du risque qu’on a pu connaître pendant la crise des subprimes aux Etats-Unis et pendant la crise de la dette dans la zone euro. La croissance au sein de la zone euro n’est pas du tout satisfaisante mais cela n’inquiète pas les marchés car ils savent que le risque est stabilisé au sein de la zone euro.

Je pense aussi que la France n’est pas sanctionnée par les marchés parce qu’ils ont conscience que si tous les pays de la zone euro appliquent les mêmes réductions budgétaires, les risques de contractions de l’activité économique peuvent être extrêmement importants. Le fait que la France tarde un peu à réduire son déficit peut entraîner un maintien d’un certain niveau de croissance en Europe au moment où l’Allemagne commence à ralentir un petit peu.

JOL Press : A quoi faut-il s’attendre pour 2015 ? La confiance des marchés est-elle acquise à la France ?

Alexandre Baradez : Rien ne dit que la France conserve cette confiance des marchés. L’année 2014 a été une année particulièrement marquante dans l’évolution des taux d’emprunt. Début 2014 on empruntait à 2,5%, aujourd’hui on est à 1,18% : on a eu cette année un appétit colossal pour la dette française. Je pense que cet appétit était, en partie, lié aux anticipations d’intervention de la BCE. Les investisseurs se positionnent toujours avant qu’une information ne tombe. Il est donc possible que cette anticipation ait été présente dans les prix.

On sait que ces temps-ci la France va être confrontée à la validation de son budget par Bruxelles ou à des réductions de déficits plus compliquées que prévu car la croissance n’est pas au rendez-vous. Les marchés regardent si la trajectoire prise par la France au niveau du rythme des réformes et de l’atteinte de l’objectif de déficit est réalisable. Si la France commence à dévier un peu trop par rapport à ces attentes-là, il y aura de fortes chances que les taux ne baissent plus, voire qu’ils remontent.

La France bénéficie de l’ancrage à l’Allemagne, comme les deux pays sont interconnectés, tant que l’Allemagne emprunte très peu cher, la France risque d’emprunter peu cher. S’il y a des tensions, il t aura des répercussions sur les taux. En 2015, l’Allemagne empruntera très peu sur les marchés car elle aura un budget quasiment équilibré en 2015 alors que la France continuera à se financer sur les marchés. Cette divergence entre la France et l’Allemagne pourra peut-être entraîner une hausse du taux d’emprunt pour la France.

JOL Press : Quelles seraient alors les conséquences pour la France ?
 

Alexandre Baradez : Ce n’est jamais très bon d’emprunter plus cher. Il y aurait alors, si la BCE n’intervient pas, un alourdissement du poids de la dette, or on sait que le remboursement des intérêts de la dette est l’un des postes de dépenses majeur pour la France, cela créerait donc un déséquilibre budgétaire. Ce serait, dans un contexte de faible croissance, d’endettement élevé et de peu d’inflation, une mauvaise nouvelle pour la France. Les objectifs de réductions de déficits pour 2015 seraient, par conséquent, encore plus difficiles à atteindre. Maintenant reste à savoir si la France va se servir de cette période « d’argent peu cher » pour accélérer son rythme de réforme. Va-t-elle profiter de cette clémence pour faire les bons investissements ? Toute la question est là.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Alexandre Baradez, diplômé de l’ESCE (Paris/La Défense) en 2003 a d’abord évolué plusieurs années chez BNPPARIBAS puis la Banque ROBECO en gestion privée avant de rejoindre SAXO BANQUE en 2009 en tant que Sales Trader. Son expérience des marchés financiers et plus particulièrement du marché des devises lui confère rapidement le rôle d’Analyste Marchés. Interlocuteur privilégié des médias français, il délivre quotidiennement des analyses sur les marchés financiers, tendances, risques macro-économiques et participe régulièrement à des conférences dédiées aux investisseurs. En novembre 2013, il rejoint le groupe IG, leader mondial des CFD, côté à Londres au FTSE 250, en tant que Chief Market Analyst.

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