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Union européenne: la poussée populiste se poursuivra-t-elle en 2015?

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Les partis europhobes ont décroché près de 130 sièges aux dernières européennes – shutterstock.com

Les pays membres de l’Union européenne peuvent refuser de verser des prestations sociales à des immigrants sans travail, a jugé, mardi 11 novembre, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Faut-il y voir une percée des populismes au sein de l’Union européenne ?

JOL Press : Les régionales en France, les législatives en Grande-Bretagne et en Allemagne, les municipales en Italie… Les peuples européens vont-ils poursuivre dans la lancée populiste qui se propage un peu partout en Europe depuis quelques années ?
 

Gérard Bossuat : Quand j’observe le passé et que je tente d’en tirer des règles générale – parce que l’histoire ne se répète pas mais des tendances de fond peuvent toujours émerger – je constate que le populisme est un phénomène qui a pris beaucoup d’ampleur depuis deux, trois ans avec la crise économique. Je ne vois pas dans le populisme un choix idéologique particulier mais plutôt un effet de la crise. C’est le reflet d’une désespérance au niveau des Etats mais aussi au niveau de l’Europe. L’Europe apporte des solutions techniques d’ordre financier et ne parvient pas à représenter une patrie de substitution dans laquelle on pourrait se réfugier pour croire en l’avenir.

Quant à savoir si ce mouvement populistes, c’est assez difficile à dire dans la mesure où on ne peut pas prévoir l’avenir. Cependant, tant que les conditions de l’émergence du populisme se maintiennent, on ne voit pas bien comment le populisme pourrait disparaître. Et cela aura indéniablement des conséquences graves : si ces mouvements populistes prennent du poids dans les Etats et arrivent au pouvoir, d’une manière ou d’une autre, même dans des gouvernements de coalition, comme cela semble être le cas en Belgique, il risque d’y avoir des dégâts en termes d’image de l’Europe, en termes d’image des nations, en termes de représentation de soi. Est-ce qu’on peut vivre avec des populistes qui revoient une image d’une Europe refermée sur elle-même ? L’Europe n’a jamais été fermée sur elle-même.

JOL Press : Vous dîtes « tant que les conditions de l’émergence du populisme se maintiennent »… La crise économique est-elle le seul facteur de cette poussée populiste et europhobe en Europe ?

Gérard Bossuat : Je pense en effet principalement à la crise économique car c’est elle qui a ébranlé la certitude d’un certain nombre de citoyens de pouvoir progresser dans la vie. Cette situation ouvre la voie à des jugements à l’emporte-pièce sur l’action des gouvernements. Quand on prend l’exemple de la France, c’est assez net : François Hollande est au plus bas dans les sondages mais on peut penser que si les résultats économiques n’avaient pas été si mauvais il ne serait pas si impopulaire. Y a-t-il une nouvelle manière de voir le monde et ses voisins chez les peuples européens ? Cela me paraît clair.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Français ont accepté des thèses racistes qu’ils n’auraient pas forcément pensé pouvoir accepter auparavant. Si le pays des Droits de l’Homme a pu prêter sa police pour que les Allemands lance des rafles contre les Juifs pour les conduire dans les camps de la mort et a pu indûment des étrangers qui avaient trouvé refuge en France, on se dit que ces événements peuvent éventuellement se reproduire. Mais on peut penser aussi que le peuple français n’a pas complètement oublié ses racines humanistes et chrétiennes. Je suis étonné de voir le discours anti-immigré grandir en France mais je reste persuadé que cette défiance à l’égard des immigrés est liée à la situation économique et à la sécurité personnelle des citoyens.

JOL Press : Les gouvernements sont-ils impuissants face à cette situation ou peuvent-ils lutter contre ces poussées populistes ?
 

Gérard Bossuat : Les gouvernements peuvent faire quelque chose dans la mesure où il existe tout un appareil de lois qui permet d’éviter tout débordement xénophobe. D’autre part, la raison est là pour nous dire que nous sommes dans un monde globalisé : nous obtenons des biens de l’extérieur, nos citoyens se déplacent soit en faisant du tourisme ou en allant faire des études à l’étranger. Il est vrai, cependant, que le discours ambiant actuel est xénophobe et raciste.

JOL Press : Comment en est-on arrivé, en 30 ans, à ce que l’Europe soit le bouc émissaire de toutes ces rancœurs ?

Gérard Bossuat : C’est une question compliquée. Si on voulait être simpliste on dirait que l’Europe c’est bien parce qu’elle a permis d’éviter la guerre et à assurer une certaine cohérence des peuples européens face à un passé de guerre. Le fait que nous soyons encore en paix depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale est un point extrêmement positif qu’on oublie très souvent. Certains pensent que cette situation de paix est normale mais ce n’est pas le cas – on le voit bien avec l’Ukraine.

Comment en est-on arrivé là en 30 ans ? On peut faire le procès de l’Union européenne mais cela ne sert pas à grand-chose. On connaît les limites de l’Union européenne mais il faut bien se rappeler que les institutions européennes ont été voulues par les gouvernements et les Etats. Quand est-ce que les peuples européens prendront-ils conscience de cela ? Si on prend l’exemple du Budget français, Bruxelles ne fait que rappeler la loi européenne, une loi qui a été décidée par les chefs d’Etats et de gouvernements européens. Le procès de l’Europe n’est pas juste.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Gérard Bossuat a été, pendant de longues années, professeur à l’université de Cergy- Pontoise, chaire Jean Monnet, directeur du master Études européennes et affaires internationales, membre du Groupe de liaison des historiens auprès des Communautés européennes. Il a publié sur l’Europe, entre autres, Les Fondateurs de l’Europe unie, ainsi que Faire l’Europe sans défaire la France.

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