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Arbitrage CDR-Tapie : une annulation bancale

Cet arbitrage est au coeur d’une enquête pénale dans laquelle six personnes, dont Bernard Tapie, son avocat, Maurice Lantourne et l’un des arbitres ,  Pierre Estoup, sont mis en examen pour escroquerie en bande organisée

La cour, en se fondant notamment sur les révélations de cette enquête pénale, , estime que l’intervention litigieuse de Pierre Estoup, l’un des trois arbitres, entache de fraude l’ensemble de la procédure :

« Considérant qu’il est, ainsi, démontré que M. Estoup, au mépris de l’exigence d’impartialité qui est de l’essence même de la fonction arbitrale, a, en assurant une mainmise sans partage sur la procédure arbitrale, en présentant le litige de manière univoque puis en orientant délibérément et systématiquement la réflexion du tribunal en faveur des intérêts de la partie qu’il entendait favoriser par connivence avec celle-ci et son conseil, exercé une influence déterminante et a surpris par fraude la décision du tribunal arbitral ; qu’à cet égard, la circonstance que la sentence ait été rendue à l’unanimité des trois arbitres est inopérante dès lors qu’il est établi que l’un d’eux a circonvenu les deux autres dans un dessein frauduleux ; que pour le même motif, le fait que certaines des parties défenderesses n’aient pas participé à la fraude, est sans emport dès lors que celle-ci affecte les sentences dans leur essence même et atteint l’ensemble de leurs dispositions ; que le recours en révision dont les conditions se trouvent réunies doit  être, en conséquence, accueilli ; qu’il convient d’ordonner la rétraction de la sentence arbitrale rendue le 7 juillet 2008 ainsi que celle des trois sentences du 27 novembre 2008 qui en sont la suite et la conséquence ; considérant qu’il convient afin qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit, d’enjoindre aux parties de  conclure sur le fond, selon les modalités précisées au dispositif de la présente décision et de  renvoyerles débats, sur ce point, à une audience ultérieure. »

La cour d’appel déclare « recevable » le recours en révision du CDR, l’organisme chargé de solder l’héritage du Crédit lyonnais, et dit que cette révision relève de son « pouvoir juridictionnel » . La cour ordonne également  la rétractation de la  sentence arbitrale rendue le 7 juillet 2008.  Elle ordonne donc la réouverture des débats, et la rétractation du jugement arbitral. Ils se prononceront à  compter du 29 septembre, sur le bien-fondé de la décision des arbitres.

L’arbitrage était destiné à mettre fin à tous les litiges en cours en  fixant  l’indemnisation du Groupe Bernard Tapie concernant  les opérations de vente d’Adidas en 1993 et 1994, l’indemnisation du préjudice causé par le Crédit Lyonnais à  l’égard de Bernard Tapie et de son épouse du fait des procédures engagées par le Crédit Lyonnais . La cour d’appel de Paris avait attribué en 2005 à Bernard Tapie et ses liquidateurs 145 millions d’euros de dommages et intérêts. Cette  décision avait été annulée par la Cour de cassation en 2006.  Par le compromis d’arbitrage, en contrepartie du désistement de toutes les actions et instances, le Crédit Lyonnais avait en fait été mis hors de cause, transférant au CDR l’intégralité de l’indemnisation du préjudice, l’action en résolution de la cession avait été exclue et les demandes d’indemnisation limitées

La Cour d’appel de Paris était saisie d’une demande du CDR limitée à la  révision de l’arbitrage. Elle va ainsi réviser cet arbitrage, alors que les critiques portaient déjà sur la légalité de cet arbitrage, dont il était soutenu qu’il était destiné à favoriser Bernard Tapie au détriment des fonds publics.  La décision de la Cour d’appel annulant  la procédure d’arbitrage sur la base d’un dessein frauduleux qui aurait été de favoriser Bernard Tapie laisse en place le socle sur lequel a été bâtie cette procédure. Par ailleurs un aspect essentiel de ce qui a été qualifié de détournement de fonds public résulte du désistement d’instance et d’action dont a bénéficié le Crédit Lyonnais, faussant ainsi la discussion sur la charge de l’indemnisation.

En l’état la décision  alimentera des nouvelles mesures conservatoires à l’égard de Bernard Tapie et de son épouse. Dans cette situation bancale d’une annulation de la procédure qui aurait du être accompagnée d’une annulation du compromis il est difficile de prévoir les développements de la procédure pénale et de la procédure au fond.

La décision de la Cour d’appel de Paris concrétise le discrédit que cette affaire jette sur l’arbitrage à Paris et sur les professions judiciaires et juridiques. Alors même que dans  l’actualité  se multiplient les mises en examen de magistrat et la comparution d’avocats comme prévenus elle confirme le diagnostic dans la tribune sur Le Monde du Droit , un monde disparu. On ne peut que s’attendre à ce qu’elle alimente le débat sur les suites d’un feuilleton qui parait sans issue.

Georges Berlioz

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