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« Réconciliez-vous ! » : le cri du cœur de Marek Halter

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Quand on voit la couverture de votre livre, difficile de ne pas faire le rapprochement avec « Indignez-vous », de Stéphane Hessel… Est-ce volontaire ?

La démarche est la même. On a connu tant de choses dans nos tripes, on a envie de crier. C’est ce qu’a fait Hessel.

Mais l’indignation ne pousse pas toujours – même rarement – à l’action. Ce qui pousse à l’action c’est la colère et les évènements tels que nous les suivons à travers le monde. Que ce soit en Syrie, en Irak, au Proche-Orient ou en Ukraine… C’est partout pareil.

Vous avez publié « Réconciliez-vous », à peine un mois après les attentats de Paris. C’est un livre que vous avez écrit dans l’urgence ?

Il y a deux siècles, Voltaire écrivait « Traité de la tolérance ». Aujourd’hui, après les attentats de Paris, vous allez dans n’importe quelle librairie, à côté de la caisse, vous trouverez un petit « Traité de la tolérance ».

Pourquoi ? Parce qu’il y a une rencontre entre la proposition et la recherche, et l’attente. On ne peut pas vendre des savonnettes à des gens qui ne se lavent pas.

Je ne sais pas si les gens attendent mon livre. Je l’ai écrit après les évènements de juillet 2014 à Sarcelles. C’était la première fois, depuis que je suis arrivé en France, en 1950 à l’âge de de 14 ans, que j’entendais « Mort aux Juifs ».

Je me suis dit qu’il fallait très vite trouver un antidote à cette crise.

Au moment où je relisais mon petit texte, la femme de Wolinski m’a appelé pour m’annoncer le massacre dans les locaux de Charlie Hebdo. J’ai intégré deux pages à mon livre, parce que j’étais bouleversé, et j’ai demandé à mon éditeur d’avancer sa sortie.

Alors non, ce n’est pas écrit dans l’urgence. Publié, oui, peut-être.

A qui s’adresse ce livre en particulier ?

A tout le monde. Comme le disait André Malraux, je pense profondément qu’on est entré dans un siècle où la religion devient centrale. Le danger, c’est qu’il y a plusieurs visions du même Dieu qui s’affrontent. Quand on tue au nom de Dieu, on tue plus gaiement, parce qu’on se sent absous par avance.

C’est ça le véritable danger selon vous ?

Bien sûr ! Quand un type va à Nice pour attaquer, au couteau, des soldats devant un lieu de culture juif, qu’est-ce qu’il pense ? Que Dieu est avec lui.

C’est l’ignorance qui lui fait croire que Dieu est avec lui. Moi je lui dis : si tu lis le Coran, tu verras que Dieu est avec moi. Je demande à chacun de connaître sa propre religion. Alors ils verront que, dans chaque religion, on dit qu’il faut respecter les autres religions.

Allah ne veut pas qu’on tue en son nom car « nous sommes tous fait à son image ». Quand on tue quelqu’un, ça revient à tuer Dieu.

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En juillet 2014, vous rapportez avoir entendu « mort aux juifs », début janvier Amedy Coulibaly a pris en otage et tué des juifs dans un magasin casher au nom de l’islam… Pourtant vous écrivez que « les musulmans ne sont pas porteurs d’un nouvel antisémitisme ». Pourquoi ?

Il y a une grande communauté musulmane en France, peut-être 6 à 7 millions. On vit dans une sorte de peur, parce que quand on ne connaît pas, on a peur. On dit « ils sont nombreux, ils vont nous envahir ».

Houellebecq écrit même que dans 20 ans, ils seront au pouvoir, même moins ! Ça crée une sorte de psychose. Les Musulmans sont 8-9 %. Et les Bretons ? ils sont combien ? Et les Alsaciens ?

C’est vrai, ce que dit Manuel Valls. Les gens qui viennent de ces quartiers ont moins de chance de trouver un travail, un logement. Ils sont intégrés, mais c’est nous qui ne voulons pas les intégrer. D’ailleurs, aujourd’hui, la plupart des comiques qui font rire la France sont d’origine maghrébine.

Il y a une colère dans les quartiers, parce que les gens qui y vivent ressentent les « barrières » que l’on a construites autour d’eux. Or, quand on est en colère, il faut que cette colère s’exprime contre quelqu’un. Par exemple, pour Charlie Hebdo, la rumeur qui circulait c’était que le journal avait été racheté par la banque Rothschild. Donc en s’en prenant au journal, ils avaient l’impression de s’en prendre aux juifs.

Le problème, c’est que l’Islam n’a pas une tradition « anti-juifs ». L’islam n’a pas développé un discours contre les juifs, contrairement à l’Eglise.

Au lendemain des attentats de Paris, la ministre de l’Education nationale a pris un certain nombre de mesures pour l’école, à commencer par l’instauration de cours de morale. Qu’en pensez-vous ?

En France, l’analyse est mauvaise. « Nous sommes tous égaux mais nous ne sommes pas tous pareils », c’est Shakespeare qui le dit, mais c’est vrai !

Un jour, Martine Aubry m’a invité à l’accompagner dans une école où 70 % des enfants étaient d’origine musulmane et refusaient d’entendre parler de la Shoah. Elle pensait que je pouvais changer leur attitude mais je n’ai pas du tout parlé de la Shoah, je leur ai parlé d’eux, d’Ibn Khaldoun… Tout doucement, je les ai ramenés à mon histoire. Je ne suis pas venu leur donner une leçon de morale. 

Celui qui aujourd’hui veut ignorer la religion, passe à côté de l’Histoire.

Que préconisez-vous donc pour l’école ?

Tout d’abord, il faut introduire des cours d’histoire des religions dans les écoles.

Il faut connaître l’autre. La haine vient de l’ignorance. Les religions sont des histoires magnifiques. Les religions monothéistes sont un peu comme des matriochkas russes. Vous en ouvrez une, il y en a une autre, et c’est toujours la même !

Il faut raconter aux enfants ce qui les intéresse, c’est la première chose à faire. 

Une fois le message passé, quand ils auront compris que nous parlons du même dieu, que nous sommes tous des cousins, qu’il faut se serrer les coudes sinon on va tous crever, alors on pourra leur parler de la République. Pas avant.

Ce qui est plus important encore que d’apprendre aux enfants à écrire, c’est de leur apprendre à parler. Si les enfants savaient parler, il y aurait beaucoup moins de voitures brûlées.

La violence commence là où la parole se termine.

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