Le pape François sera donc le pontife de tous les tabous, s’attaquant presque systématiquement aux grands nefas de l’Eglise – homosexualité, contraception, divorce, finances, François gratte là où ça fait mal. En qualifiant de « premier génocide du XXème siècle » le massacre d’Arméniens, il y a cent ans, le Pape François a provoqué le courroux du gouvernement turc. » Le pays a annoncé dimanche qu’il rappelait pour consultations son ambassadeur au Vatican, Mr Mehmet Pacaci, après ces déclarations.
François persiste et signe. Ce dimanche 12 avril, lors d’une messe dite pour le centenaire du génocide arménien (1915-1917) à l’invitation de l’Eglise catholique arménienne, le souverain pontife a utilisé publiquement pour la première fois le terme hautement symbolique de « génocide » pour qualifier le massacre des Arméniens perpétré il y a cent ans en Turquie. « Au siècle dernier, notre famille humaine a traversé trois tragédies massives et sans précédent. La première, qui est largement considérée comme le premier génocide du XXe siècle, a frappé votre peuple arménien. »
Il a ensuite évoqué « les tragédies perpétrées par le nazisme et par le stalinisme » puis cité les « exterminations de masse » au Cambodge, au Rwanda, au Burundi et en Bosnie. Le pape s’exprimait à l’ouverture d’une messe pour les fidèles de rite catholique arménien, concélébrée avec le patriarche arménien Nerses Bedros XIX Tarmouni et en présence du président arménien, Serge Sarkissian.
L’emploi de ce qualificatif a provoqué un véritable séisme diplomatique. Même si Jean Paul II l’avait déjà utilisé à l’écrit, dans une déclaration commune avec le patriarche arménien Karenkin II, c’est la première fois qu’il est prononcé publiquement par un souverain pontife. François l’avait également utilisé plusieurs fois avant de devenir pape – notamment en juin 2013, en recevant au Vatican une délégation de l’Eglise arménienne – et Ankara n’avait déjà pas hésité à faire état de sa colère à l’époque.
Avec tout le poids de son autorité spirituelle – plus si nouvelle – ces propos on fait l’effet d’une bombe. Sans surprise, la réaction de la Turquie ne s’est pas fait attendre : Ankara a convoqué à la mi-journée l’ambassadeur du Vatican pour évoquer la question et a ensuite rappelé son propre ambassadeur au Vatican. « La déclaration du pape, qui est loin de la réalité légale et historique, ne peut pas être acceptée », a condamné le des Affaires étrangères turc, Mevlut Cavusoglu, sur son compte Twitter. Le ministre a accusé le pape François d’avoir un « point de vue sélectif » de l’époque de la Première Guerre mondiale, d' »ignorer les atrocités endurées par les Turcs et les musulmans qui ont perdu la vie. »
Les propos du pape constituent pour Ankara une « sérieuse déviation » par rapport au message de paix et de réconciliation que le pontife avait transmis lors de sa visite en Turquie en novembre dernier. Mais le pays semble pour autant ne pas unanimement condamner le souverain pontife. On peut citer, par exemple, le quotidien turc Zaman, qui écrit qu’il était « connu que le Pape a des liens proches avec la communauté arménienne depuis ses années en Argentine et il a assuré qu’il était de son devoir d’honorer la mémoire d’hommes, de femmes, d’enfants, de prêtres et d’évêques innocents et qui ont été victimes de meurtres insensés. »
Les Arméniens estiment que 1,5 million des leurs ont été tués entre 1915 et 1917, à la chute de l’Empire Ottoman. La négation d’une volonté spécifique d’extermination derrière ces massacres est une constante de la république turque depuis sa naissance sur les ruines de l’Empire ottoman, en 1923. Nombre d’historiens et plus d’une vingtaine de pays, dont la France, l’Italie et la Russie, ont officiellement reconnu un génocide – qui est également considéré comme tel par les Nations unies. La Turquie nie pour sa part, qualifiant l’épisode de « guerre civile » plusieurs centaines de milliers d’arméniens et autant de turcs ont trouvé la mort.
En 2014, le président turc islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan – alors Premier ministre – avait présenté pour la première fois des condoléances aux Arméniens pour les victimes de la guerre civile de 1915, sans pour autant cesser de nier catégoriquement toute volonté d’extermination.