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Ukraine : les affaires comme porte de sortie à la crise politique

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« L’Ukraine a besoin d’un plan Marshall s’élevant peut-être à quelques centaines de milliards d’euros », expliquait le 3 mars le député chrétien-démocrate allemand Karl-Georg Wellmann (CDU) dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung. L’homme est cofondateur, avec notamment le député conservateur britannique Lord Risby of Havervill, de l’Agence de modernisation de l’Ukraine (AMU). Le 3 Mars 2015 l’AMU a été présentée durant le forum international Ukraine Tomorrow (l’Ukraine demain) à Vienne.  Son objectif : permettre d’élaborer un plan politique et économique afin de reformer l’Ukraine, visant à l’instauration d’une paix durable et assurer un retour d’investissements pour permettre la reconstruction du pays. Cette initiative devrait permettre d’alimenter un fonds de 300 milliards d’euros.

L’agence s’assigne pour mission d’accomplir trois réformes essentielles : une restauration constitutionnelle, financière et juridique. Elle devrait être dirigée par un « triumvirat » austro-allemand – Michael Spindelegger, Karl Schlögl, Udo Brockhausen – comporter huit personnalités européennes qui ont occupé des positions politiques de haut rang, dont Peter Mandelson côté anglais, Vlodzimierz Czymoszevicz côté polonais, ainsi que Bernard Kouchner et Laurence Parisot côté français. Derrière cette initiative, le principal investisseur serait l’oligarque ukrainien Dmytro Firtash.

Dmytro Firtash, à la tête d’une fortune estimée à  2,4 milliards d’euros, s’est lancé dans les affaires dans les années 1990 avec le commerce de produits alimentaires et de voitures d’occasion, et s’est fait un nom dans de nombreux secteurs dont les médias et le secteur bancaire. Mais c’est surtout comme partenaire du groupe RosUkrEnergo, qui contrôle le commerce du gaz entre l’Ukraine et la Russie, qu’il s’est fait largement connaître. Proche du pouvoir de Viktor Ianoukovitch, il a néanmoins pris ses distances avec celui-ci au début du mouvement de contestation à Kiev – notamment lorsque celui-ci a tenu tête à sa population en décembre 2013. La chaîne de télévision Inter, qu’il détient, avait alors décidé de donner la parole aux manifestants du Maïdan, petite révolution dans un pays où les médias étaient largement contrôlés par le pouvoir en place.

En donnant vie à une telle initiative, Firtash nous rappelle que la crise politique ukrainienne qui déchire encore le pays actuellement est en réalité le dénouement dramatique d’une trajectoire financière devenue insoutenable. En juillet 2010, le gouvernement signait un accord avec le FMI. En échange d’un prêt de 15,5 milliards de dollars, il s’engageait notamment à faire passer l’âge de la retraite de 55 à 60 ans — alors que l’espérance de vie reste inférieure de dix ans à la moyenne européenne — et à doubler les prix intérieurs de l’énergie.

A l’automne 2013, le gouvernement savait déjà que 3 milliards de dollars devraient être trouvés pour faire face aux échéances de 2014, à quoi s’ajoutent 1 milliard d’obligations en euros remboursables dans l’année. En outre, Naftogaz, opérateur public gazier du pays, avait accumulé plus de 3 milliards de dollars d’impayés auprès de son fournisseur russe Gazprom. Pris à la gorge par sa mauvaise gestion, Ianoukovitch a alors fait marche arrière sur  ses engagements avec le FMI et l’UE, et c’est cette décision qui a mis le feu au poudres et initié ce qui serait plus tard connu sous le nom de révolution de Maidan, et la guerre civile qui s’en est suivie.

L’AMU a constaté que si l’Ukraine veut sortir de l’impasse tant économique que politique, il faut commencer par remettre l’éco à flot. Si cela était vrai avant la guerre civile sanglante qui oppose le régime de Kiev aux républiques autoproclamées de Donetsk et Lougansk, cela est encore plus évident au vu des dettes colossales accumulées lors de ce conflit et des efforts de reconstruction qu’il faudra entreprendre une fois le conflit achevé.

A cela on peut ajouter le point de vue Russe – et à terme des prorusses qui ont profité du soutien de Poutine pour prendre les armes – qu’il ne faut pas commettre l’erreur d’ignorer une nouvelle fois, a voir le conflit que cela a provoqué. Il ne faut pas oublier qu’avant tout, c’est la crainte de perdre un important partenaire économique qui a mis la Russie sur le pied de guerre. Le Kremlin a ensuite tiré les ficelles d’une importante population russophone pour initier le conflit. Nombreux se sentaient en effet lésés à mesure que l’Ukraine tournait le dos à la Russie, faisant peser le spectre du déclin des rapports entre les deux pays – avec de lourdes conséquences des deux côtés de la frontière. M. Sergueï Glaziev, conseiller du président Poutine, qualifiait la signature de l’accord avec l’Union européenne d’acte « suicidaire  » qui reviendrait à « tuer la balance commerciale ukrainienne. »

Le projet de Dmytro Firtash ne règlera pas à lui seul une crise identitaire complexe, mais il a pour avantage d’unir tous les ukrainiens dans un intérêt commun – le retour de la paix et le rebondissement économique du pays. De plus sa grande expérience de collaboration avec Moscou sera susceptible de rassurer le vieux dragon orgueilleux – sentiment sur lequel Poutine a beaucoup misé avec son idée de Nouvelle Russie. Aujourd’hui, le régime de Kiev, en proie à une lutte fratricide pour le pouvoir, semble néanmoins tourner le dos à l’une des premières initiatives viables et non violentes visant à un retour au calme.

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