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Accusations de viols en Centrafrique: Le Drian demande aux coupables de se dénoncer

« Si quelqu’un a sali le drapeau, parce que c’est de cela qu’il s’agit, il faut qu’il le dise dès à présent », a estimé dimanche 3 mai Jean-Yves Le Drian, avant d’ajouter, « si les faits sont avérés, je ne mesurerai pas ma colère, parce que lorsque le soldat français est en mission, il est la France. » Les faits incriminés se seraient déroulés entre décembre 2013 et mai-juin 2014, lors des premiers mois de l’opération Sangaris. Un rapport interne de l’Organisation des Nations unies (ONU) a été transmis aux autorités françaises. Selon les estimations et les recoupements de chacun, 14 soldats français et 5 militaires étrangers sont mis en cause.

Le Journal du Dimanche a dévoilé les dépositions des enfants contenues dans le rapport. Parmi les six enfants, réfugiés du camp de M’Poko ou à la rue, qui ont dénoncé les faits, quatre auraient subi des sévices sexuels, les deux autres ont raconté les abus dont ont étés victimes leurs proches.  Tous ont entre 8 et 13 ans et décrivent le même scénario sordide. A chaque fois, les gamins ont été contraints à des pratiques sexuelles en échange de rations de nourriture ou d’argent. Les victimes ont pu donner des descriptions précises ou des caractéristiques physiques – teint, couleur de cheveux, tatouages… – de leurs agresseurs présumés, certains ont même étés en mesure de donner leur surnoms.

Selon un source judiciaire, « une petite minorité » de violeurs présumés ont été identifiés dans l’enquête conduite par le parquet de Paris . Les enfants, qui n’ont pas encore été entendus par la justice française, donnent de nombreux éléments descriptifs des agresseurs. Mais dans le camp de réfugiés de M’poko, le plus grand du pays, accueillant plus de 100 000 personnes à l’époque des faits, était supervisé par pas moins de 10 000 soldats – et l’effectif a été régulièrement relayé. A ce stade, les militaires identifiés n’ont pas été entendus. Depuis son ouverture, la gendarmerie prévôtale, chargée des investigations, s’est rendue en Centrafrique. L’enquête préliminaire, ouverte après la transmission d’un rapport du ministère de la Défense, vise à vérifier la matérialité des faits allégués. La complexité d’une telle enquête permet de comprendre l’appel de Jean-Yves Le Drian, sommant les responsables de se dénoncer.

Cette affaire est potentiellement désastreuse pour la réputation de la France et de son armée en Afrique. Cependant, le Ministre de le défense tempère : « De nombreux soldats français ont fait preuve de courage –trois d’entre eux y ont donné leur vie- et d’abnégation au service de ce pays qui, autrement, aurait sombré dans le chaos et les massacres de masse. » C’est sans doute la raison pour laquelle les révélations du Guardian n’ont pas entraîné de manifestations antifrançaises à Bangui. « Lorsque les soldats de Sangaris et de l’ONU sont intervenus en Centrafrique, le pays était en proie aux violences intercommunautaires. Sans la force d’interposition, les morts ne se seraient pas comptés en centaines mais en milliers. » confiait un diplomate ayant choisi de rester anonyme.

Anders Kompass, directeur des opérations de terrain au Haut-Commissariat de l’ONU pour les droits humains, accusé d’avoir fait fuiter ce document confidentiel et d’avoir court-circuité sa hiérarchie en le remettant à la justice française, a été suspendu. Pour le quotidien britannique the Guardian, qui divulgue des sources proches de l’enquête, il se serait décidé en juillet 2014, après avoir constaté que l’ONU tardait à agir.

Sous couvert de l’anonymat, une source à l’ONU a expliqué à l’Agence France-Presse que le responsable avait fait fuiter le rapport une semaine seulement après qu’il a été fourni par les enquêteurs, et que son action ne pouvait donc pas s’expliquer par une frustration devant un manque de réactivité de l’ONU. Elle a ajouté qu’agir sans en référer à sa hiérarchie, mais aussi sans avoir effacé le nom des victimes, des témoins et des enquêteurs, pouvait « mettre en danger » ceux-ci. pourtant, toujours selon le Guardian, l’un de ses supérieurs avait même été mis au courant de l’entreprise menée par M. Kompass à l’époque, et n’aurait soulevé aucune objection.

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