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Dessous européens de la victoire de David Cameron

Si le résultat des dernières législatives au Royaume-Uni représente un immense camouflet pour les instituts de sondage qui annonçaient en cœur depuis des mois le scrutin « le plus serré depuis une génération », la leçon la plus dire a été celle des travaillistes, balayés pour leur pire défaite (232 sièges) depuis l’époque Thatcher. Alors que tories et Labour étaient donnés au coude-à-coude à 33 % chacun, les électeurs les ont gratifiés respectivement de 36,9 % et 30,4 % des voix. Peu d’analystes envisageaient la capacité du premier ministre sortant, David Cameron, à constituer un gouvernement sans la nécessité d’une coalition avec une autre formation politique comme cela a été le cas de 2010 à 2015 avec les libéraux démocrates.

Ce score le voit certainement émerger renforcé vis-à-vis de ses partenaires européens, mais aussi plus dépendant de l’aile eurosceptique de son parti, et donc affaibli en interne. La direction du parti conservateur risque d’avoir des difficultés à rassembler son parti sur les renégociations avec l’Europe. D’ores et déjà, la branche le plus eurosceptique de son parti, comptant au moins 60 députés, s’apprête à demander à David Cameron d’obtenir un nouveau pouvoir pour la Chambre des Communes afin qu’elle puisse mettre son veto à toute loi européenne – réforme fantasque et inacceptable s’il en est. De fait, à peine réinstallé à Downing Street – plus confortablement que jamais – David Cameron se voit confronté à une situation délicate.

Lors de son précédent mandat, David Cameron avait réussi à asseoir son contrôle sur les députés de son parti, y compris son arrière-garde la plus virulente en diluant leur influence avec la présence des libéraux démocrates. Aujourd’hui, sans coalition, et avec un progrès important du parti anti-européen et xénophobes UKIP – le parti gagne 9,5 points par rapport à 2010 avec 12,3 % des voix – qui sera certainement exploité par l’arrière garde des conservateurs, fort est à parier que la tâche soit plus délicate. Ces voix se sont en effet pas perdues, puisqu’elles constituent un vote de rejet de l’immigration et de l’Union européenne, et David Cameron veut tenir compte de l’état de l’opinion publique.

Dans son premier discours après sa victoire, le premier ministre conservateur a affirmé qu’il tiendrait sa promesse d’organiser un référendum sur le maintien ou la sortie du pays de l’Union européenne d’ici la fin 2017. Plus précisément, le leader des conservateurs s’est engagé à négocier des réformes avec ses partenaires européens. Une fois ces concessions obtenues, il convoquera un référendum d’ici à 2017 pour demander aux Britanniques s’ils souhaitent que le Royaume-Uni reste membre de l’Union. Concrètement, il demande a pouvoir réfréner l’immigration et d’encadrer le pouvoir de la cour européenne des droits de l’homme, et s’est engagé à négocier une réforme des relations entre le Royaume et l’Europe. Le résultat sera présenté par référendum aux électeurs avant fin 2017 – référendum pouvant éventuellement aboutir au fameux « Brexit. »

Seulement, lui-même, après une campagne où il n’a eu que les mots les plus durs vis-à-vis de l’UE, défendra le maintien dans l’UE. Il le fera sous couvert d’être parvenu à renégocier certains aspects de l’adhésion du Royaume-Uni – seulement pour ça il doit encore obtenir des concessions suffisantes pour apaiser les eurosceptiques. Or leurs attentes semblent démesurées au sein d’une Europe largement lassée par le statut d’exception permanente du Royaume-Uni. Et c’est bien là que le bât blesse. Le Royaume-Uni n’a proprement aucun intérêt à sortir de l’Europe, et les dirigeants britanniques le savent très bien. Bien que contributeurs à hauteur de 13,8 milliards au budget annuel européen, ils ont réussi à se tailler un statut très avantageux, et aujourd’hui avec le minimum de contraintes (ils sont hors l’euro et hors Schengen) l’Europe représente plus de 50% de leurs exportations. Sans marché unique, et avec le retour des droits de douanes, l’économie du pays serait catastrophique, avec un risque inflationniste très élevé.

En réalité Cameron – et éventuellement les plus eurosceptiques britanniques – n’a aucune envie de sortir ; le prix à payer serait bien trop élevé. Il a mené un grand bluff afin d’obtenir le vote des citoyens en colère qui se seraient tournés vers UKIP, et afin de faire pression sur l’UE, mais aujourd’hui il se trouve pris au piège de ce double jeu, et va devoir défendre l’adhésion à l’Union. Des responsables conservateurs croient néanmoins qu’un accord, notamment avec l’Allemagne, est possible. « L’idée serait de mettre George (Osborne) et Phil (Hammond) dans un avion pour Berlin et de les amener à avoir une franche discussion avec les proches de Merkel pour savoir exactement ce qui est possible en terme d’accord », a confié un responsable gouvernemental au quotidien britannique Sunday Times. Vendredi, la Commission européenne a cependant rappelé que la libre circulation des personnes, des biens, des capitaux et des services n’était « pas négociable. » Réponse d’ici 2017.

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