François Hollande a fait une escale de quelques heures à Doha pour y signer un contrat assurant la vente de 24 Rafales, brisant définitivement la malédiction qui pesait sur l’avion de combat multirôle français. Cette cession a nécessité une contrepartie à peine dissimulée en matière de droit de trafic aérien, qui ne fera, elle, pas que des heureux dans l’hexagone.
Effet boule de neige? Après l’Egypte et l’Inde, le Qatar est le troisième pays à acheter ces appareils aériens, fleurons de l’escadrille française qui, jusqu’à cette année, avaient systématiquement échoué à s’exporter. En quelques semaines, Dassault Aviation a mis fin à une malédiction vieille de dix ans. Coup sur coup, 24 appareils commandés par l’Egypte en février, 36 autres par l’Inde deux mois plus tard et 24 autres encore par le Qatar, soit un total de 84 avions. Ce dernier contrat – qui devrait rapporter 6,3 milliards d’euros et permettre de créer 3.000 emplois – a été signé officiellement lundi à Doha en présence de François Hollande et de l’émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani.
Pour le groupe français et ses sous-traitants ou partenaires, tels que Safran, cette acquisition sonne comme une revanche contre un sort jusqu’alors pour le moins ingrat, et une chance de repartir enfin à l’assaut des marchés internationaux. La Malaisie, où le ministre de la Défense français, Jean-Yves Le Drian, s’est rendu fin 2014, a également négocié l’implantation d’une chaîne d’assemblage au cas où elle achèterait des Rafale pour remplacer la vingtaine de Mig 29 russes largement décriés par son état-major. Mieux encore, il est possible que d’autres contrats pour le Rafale soient signés en 2015. Les Emirats arabes unis, autre grand client de la France, sont aussi en pourparlers avec Dassault.
Les compromis consentis par le président français
Dans le cas du Qatar, la vente est directement liée à la configuration géopolitique actuelle : le Qatar, est aujourd’hui engagé contre la nébuleuse de l’Etat islamique (EI), dont ses avions bombardent les positions en Irak et en Syrie. Il semblerait qu’elle découle également d’un accord sur le trafic aérien. François Hollande a eu beau jeu d’assurer qu’il n’y avait pas eu de contreparties de la part de la France, il a par ailleurs confirmé que « des discussions étaient engagées dans d’autres domaines avec le Qatar [et] avec d’autres pays pour l’attribution de lignes aériennes », avant d »ajouter que « ce contrat n’a pas fait l’objet de négociations sur d’autres sujets que l’avion Rafale et des matériels qui doivent l’équiper » lors d’un point presse à Doha.
Le Qatar a en réalité une condition à l’achat de ces 24 avions : obtenir des droits de trafic supplémentaires vers la France pour sa compagnie aérienne, Qatar Airways. Les avions de Qatar Airways, qui desservent déjà Paris, pourront désormais atterrir à Lyon et à Nice, vraisemblablement trois fois par semaine. Ce n’est pas la première fois que le Qatar tente de renforcer sa présence dans l’Hexagone : en 2013, le Premier ministre qatari avait formulé une demande similaire après avoir commandé plusieurs Airbus. Le gouvernement Ayrault avait a l’époque répondu par la négative.
La société Air France, grande perdante de cette vente
Ce développement de Qatar Airways dans l’Hexagone risque en revanche de faire un perdant
: Air France. La compagnie tricolore est exsangue. Elle perd de l’argent depuis 2008 et multiplie les plans de restructuration pour tenter de mettre un terme à l’hémorragie. L’arrivée de Qatar Airways sur sa chasse gardée n’est donc pas une bonne nouvelle – pour la compagnie, mais aussi pour l’Etat, qui est actionnaire de la compagnie aérienne (16 %). Dans un entretien au Figaro vieux de quelques mois, Frédéric Gagey, le PDG d’Air France, critiquait déjà les « subventions indirectes » dont bénéficient selon lui les compagnies aériennes du Golfe. Celle-ci versent en effet très peu de redevances aéroportuaires. « Il est certain que si les compagnies européennes payaient peu de redevances aéroportuaires comme celles du Golfe, leurs problèmes seraient résolus! »
Il faut espérer que les futurs clients de Dassault ne demandent pas les mêmes avantages au gouvernement français lors des vents à venir. S’il peut être intéressant de relancer la popularité des Rafales avec un compromis coûteux, la France doit garder son bien être en tête lors des discutions avec les Emirats, eux aussi léonins en affaires. Les mêmes critiques ont récemment été formulées par les compagnies américaines American Airlines, Delta Airlines et United Airlines qui ont demandé début mars aux autorités américaines des mesures de protection pour se prémunir d’Emirates, d’Etihad et de Qatar Airways qui ont, selon elles, bénéficié de 42 milliards de dollars d’aides gouvernementales depuis 2004.