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Réforme de la Constitution : pourquoi le Congo pourrait avoir à y gagner

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Les réformes constitutionnelles, sport national

Depuis la naissance de la République du Congo en 1958, suivie de près par son indépendance en 1960, le pays a connu la bagatelle de 10 Constitutions, lois constitutionnelles ou actes fondamentaux – à titre de comparaison, la France, dans le même laps de temps, n’en a connu qu’une seule, toujours en vigueur. Ces changements ont souvent été l’occasion de revisiter la Constitution de fond en comble, ce qui a fait dire à Narcisse Mayetela, docteur en droit à l’Université Ngouabi de Brazzaville, que « le Congo, depuis la fondation de la République, a fait plus souvent usage du couperet de l’abrogation que de l’orthopédie de la révision¹ ».

Si tant de changements radicaux de ce texte fondateur ont eu lieu, c’est que les précédentes Constitutions portaient en elles les germes d’une forme d’instabilité. Il faudra attendre janvier 2002 pour que le Congo, cinq ans après la fin de la guerre civile (1997) qui a vu Denis Sassou N’Guesso prendre la tête d’un régime de transition, ne se dote d’une Constitution à même de le pacifier durablement. Dans la foulée, Sassou N’Guesso est porté au pouvoir (en mars 2002) par les urnes. Le régime est considéré comme présidentiel, ne comporte ni vice-président ni Premier ministre (le Président assure les fonctions de chef de l’exécutif) mais un législatif bicaméral (Assemblée nationale et Sénat), à même de contrôler l’action de l’exécutif.

Surtout, la Constitution de 2002 prévoit les conditions de sa propre modification. Dans les faits, la quasi totalité des dispositions du texte peuvent être modifiées par voie de référendum, exception faite notamment de celle concernant le nombre de mandats présidentiels, limité à deux septennats (art. 185). Un verrou constitutionnel qui empêche Denis Sassou N’Guesso de se présenter à sa propre succession en 2016, puisqu’il a déjà été élu en 2002 et 2009. Ajoutons à cela que la Constitution de 2002 pose une limite d’âge pour être candidat (70 ans), disposition également indéboulonnable (art. 85), or Denis Sassou N’Guesso aura 72 ans lors de la prochaine présidentielle.

Dans ces conditions, on est en droit percevoir les consultations nationales que vient de lancer ce dernier – visant à déterminer si, oui ou non, l’hypothèse d’un référendum populaire portant sur la pertinence d’un changement ou d’une modification de la Constitution doit être retenue ; comme une habile manœuvre pour être réélu. C’est peut-être en partie vrai, même si les choses sont un peu plus compliquées que cela.

Une nouvelle Constitution pour quoi faire ?

Mercredi 20 mai, Denis Sassou N’Guesso lançait des consultations nationales, ayant vocation à encourager le dialogue quant à l’avenir de l’Etat. Pour ce faire, il recevait les forces vives de la nation : dirigeants des partis politiques, acteurs de la société civile, responsables religieux et personnalités de tous les horizons. Ces consultations s’inscrivent dans le prolongement d’un débat entamé il y a quelques années déjà, portant sur l’intérêt pour le pays de réformer sa Constitution.

Pourquoi, la personne de Sassou N’Guesso mise à part, le Congo gagnerait-il à changer sa Constitution ? C’est simple : la Constitution actuelle n’avait de sens que dans une perspective post guerre civile. Cette Constitution avait vocation à établir la paix et à aider le pays à se reconstruire, et ce en instaurant une ultra-présidence forte. Pari réussi, le Congo, on l’a dit, est de nouveau un Etat paisible. Il y a maintenant urgence à le rendre plus démocratique, en transférant une partie des prérogatives du Président à un Premier ministre.

C’est dans ce sens que va par exemple Germain Vincent La N’Zoala, juge à la Cour suprême du pays, en préconisant dans La Semaine Africaine² de s’inspirer de la Constitution du 15 mars 1992 tout en la « toilettant », c’est à dire en la « dotant de garde-fous », pour l’empêcher de conduire au même chaos qu’à l’époque. Trop lâche sur certains points, cette Constitution avait en effet pour mérite de conférer davantage de pouvoir aux électeurs, par le biais de leurs représentants à l’Assemblée nationale. Des parlementaires qui pouvaient sanctionner le Premier ministre en cas de mauvaise gouvernance (non respect du programme sur lequel le chef de l’Etat a été élu), par le vote d’une motion de censure l’obligeant à présenter sa démission.

Plus saine et aboutie sur le plan démocratique, cette Constitution aurait également à se prononcer sur les questions de la limitation du nombre de mandats présidentiels et de la limite d’âge des candidats. Des points que La N’Zoala évacue d’un revers de la main : « La limitation d’âge et du nombre de mandats (…) est incompréhensible quand existe un Premier ministre, chef de gouvernement, qui exerce, au quotidien, le pouvoir exécutif et qui, lui, est responsable de cet exercice devant le Parlement ». Autrement dit, si le principe d’alternance doit être respecté, dans un tel régime il doit avant tout concerner le Premier ministre, véritable détenteur du pouvoir exécutif.

Incompréhensible, mais aussi potentiellement nuisible, dans un pays que la France voudrait voir s’aligner sur ses standards mais qui n’est pas la France, ce que l’Hexagone méconnait en l’exhortant à mettre en place une alternance présidentielle à tout prix. Le Congo, s’il a réalisé de gros progrès dernièrement dans la formation de ses élites, en compte néanmoins beaucoup moins que ses partenaires occidentaux pour le moment, surtout pour occuper un poste si exigeant.

Dans ce contexte, entraver le renouvellement du mandat de personnalités politiques ayant fait leurs preuves est avant tout un handicap. La N’Zoala, toujours dans La Semaine Africaine, affirme ainsi : « Dans nos pays et à ce niveau, s’agissant de la gestion de nos intérêts primordiaux, les cadres expérimentés se comptant avec les doigts de la main, forclore certains pour des motifs du nombre de mandats et d’âge et, ce, sous l’instigation des pays en relation d’affaires avec les nôtres, pays qui en ont des cadres compétents à revendre, paraît une mauvaise idée². »

Ajoutons à cela que, dans une nation dont la stabilité est encore récente comme le Congo, il peut sembler opportun de conserver une « figure du père », figure tutélaire capable d’assurer la pérennité de cette stabilité, en veillant notamment à l’unité nationale et à l’intégrité du territoire, à l’indépendance du pays et au bon respect des traités internationaux, en marge des intrigues politiciennes, tribales ou régionalistes.

On le voit, les raisons de réformer l’actuelle Constitution congolaise sont nombreuses. Sans surprise, ce mouvement de réforme est soutenu par la plupart des partis affiliés à la majorité présidentielle, comme l’UFD, rejeté par l’opposition, à l’instar de l’UPADS, qui a choisi de boycotter les consultations. Ce faisant, l’opposition, encline à davantage de démocratie, se retrouve dans un double paradoxe : celui, d’une part, de prôner la conservation d’une Constitution instaurant un régime autoritaire – contre laquelle elle s’était pourtant opposée à l’époque – au détriment d’une Constitution mettant en place un régime parlementaire, donc beaucoup plus démocratique, qu’elle appelle de ses vœux depuis longtemps. Régime au sein duquel, d’autre part, le principe d’alternance appliqué au Président, qu’elle souhaite voir respecté, n’a aucun intérêt.

« Ce serait une grande première qu’une mutation d’une Constitution soit ainsi opérée sans qu’elle ne soit motivée par un dysfonctionnement majeur de cette dernière ou par un grave trouble sociopolitique³ », écrit le penseur congolais Claude-Richard M’Bissa. Il faut indéniablement y voir un gage de bonne santé démocratique. Idem pour l’organisation d’un référendum. Pour la première fois, le peuple aurait à se prononcer, non pas dans l’urgence, non pas sous la pression, mais en parfaite connaissance de cause. Quel que soit le résultat du suffrage, il apparaît donc de facto positif d’organiser un référendum sur ces questions constitutionnelles, d’interroger les Congolais sur l’idée qu’ils se font de l’avenir de leur pays, indépendamment de Sassou N’Guesso, dont la volonté de candidater est à ce jour encore incertaine.

¹ En vingt ans, huit textes constitutionnels, in Vision pour Demain, doc 19, Narcisse Mayetela
² La Semaine Africaine, « De la Constitution du 20 janvier 2002 à la Constitution du 15 mars 1992, ou à plus de démocratie », Germain Vincent N’Zoala,15 juillet 2011
³ Débat sur la Constitution du 20 janvier 2002 au Congo, Claude-Richard M’Bissa, l’Harmattan

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