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Guinée : l’heure de vérité approche

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Avant même la crise Ebola, qui a démarré dans la région de Guinée-Forestière avant de s’étendre à ses voisins, Alpha Condé avait du mal à convaincre de la justification de cette seconde candidature tant le PIB et le taux de pauvreté demeurent catastrophiques, pointant même derrière les niveaux atteints sous ses prédécesseurs autoritaires. En 2015, les prévisions annoncent une contraction du PIB et la pauvreté, rurale comme urbaine, augmentent depuis l’élection du régime actuel, tandis que l’accès aux services de base que sont l’eau et l’électricité a régressé.

Si la situation économique désastreuse est souvent attribuée à l’épidémie d’Ebola, qui a sans aucun doute aggravé la situation, force est de constater que les problèmes préexistaient à l’arrivée de l’épidémie. Les interminables contentieux judiciaires entre le Gouvernement et les compagnies minières concernant les droits d’exploitation de l’immense gisement de fer de Simandou ont privé le pays mais surtout la population de retombées économiques significatives. Des infrastructures importantes, prévues dans le cadre du projet d’exploitation ont été suspendues en attendant le dénouement des contentieux. Les experts s’interrogent désormais quant au potentiel de développement de l’exploitation de ce minerai, alors que les prix s’effondrent du fait de l’importance de l’offre. L’an dernier, la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’Ohada, à laquelle appartient la Guinée, a condamné le pays pour avoir résilié unilatéralement le contrat de gestion des ports qui la liait à la société française Getma International, portant un nouveau coup à la réputation du pays, qui a pourtant plus que jamais besoin d’attirer les investissements internationaux.

Ces éléments sont inquiétants, mais néanmoins pas surprenants

En février, Condé a invoqué l’épidémie d’Ebola, pourtant en voie de résorption, et le supposé besoin de « renforcer la mobilisation des autorités administratives décentralisées et d’intensifier la sensibilisation des communautés locales » pour remplacer le ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation par le général Bourema Condé (aucun lien de parenté avec le président), considéré comme l’un de ses plus proches alliés au sein des forces armées. C’est surement pas un hasard si le nouveau ministre a également la charge de fournir la logistique et le support technique dont aura besoin la Commission électorale nationale indépendante (CENI), chargée d’organiser le scrutin présidentiel dans quelques mois.

Cette même CENI a annoncé en mars que le scrutin présidentiel aurait lieu le 11 octobre prochain, mais que les élections locales (municipales, régionales), reportées depuis près de quatre ans sous différents prétextes, seraient une nouvelle fois repoussées. Elles sont désormais prévues début 2016, en contradiction avec l’accord conclu avec les Nations-Unies, qui prévoyait qu’elles auraient lieu « avant la fin du premier trimestre 2014 ». Ces éléments soulèvent plusieurs inquiétudes. Tout d’abord, ces reports successifs ne disposent pas de base légale ou constitutionnelle, ce qui fait que les responsables locaux en place ne disposent pas de mandat légal, comme l’ont signalé à François Hollande les leaders de l’opposition et de la société civile dans un appel l’an dernier. De plus, ces fonctionnaires doivent davantage à leur fidélité au pouvoir, ou à leur flexibilité, qu’à une réelle légitimité pour la fonction. Enfin, ces mêmes responsables locaux nommés par le gouvernement central sont ceux à qui incombe la charge de la surveillance du scrutin présidentiel, sous l’autorité du ministre de l’administration territoriale.

Récemment, des manifestations de personnes proches de l’opposition, qui réclamaient un scrutin honnête, juste et transparent, en conformité avec les déclarations d’Alpha Condé lui-même ont été réprimées par la force, que ce soit des gaz lacrymogènes ou des tirs à balles réelles. Selon des représentants de la société civile, près de 50 personnes ont trouvé la mort à cause des forces de l’ordre depuis le début de l’année, dont une douzaine la semaine dernière. La plupart des personnes tuées l’ont été à bout portant, incluant une jeune victime de 13 ans, selon une liste largement diffusée.

A cela s’ajoutent les proches du président sortant qui soufflent sur les braises pour raviver les tensions ethniques, en jouant sur la défiance des minorités du pays à l’égard des Peuls, le plus grand groupe ethnique qui soutient traditionnellement l’ancien Premier ministre Cellou Dalein Diallo, arrivé second de la dernière élection présidentielle.

A la vue de ces différentes données, il n’est pas surprenant que la dernière édition du « Democracy Index » de la revue The Economist ait classée la Guinée parmi les régimes autoritaires, plaçant le pays à la 143e place sur les 167 pays étudiés, et 36e sur 44 en ce qui concerne les pays d’Afrique sub-saharienne.

Il est donc essentiel que la communauté internationale, au premier rang desquels la France, ancienne puissance coloniale, qui ont tant fait pour le pays lors de la dernière élection présidentielle et qui ont maintenu le pays à flot lors de la crise d’Ebola, fassent accroître la pression sur le régime pour à parvenir à un consensus avec l’opposition et la société civile, en vue de garantir un calendrier crédible et clair pour l’organisation des élections. Sans cela, les conséquences pourraient être désastreuses, tant pour le pays que pour l’ensemble de l’Afrique de l’ouest.

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