Site icon La Revue Internationale

Le défi Boko Haram : douche froide pour Buhari

Abuja, la capitale politique du Nigeria a accueilli le 11 juin 2015, un sommet regroupant les Chefs d’Etat du Niger, du Cameroun, du Bénin, du Tchad et bien entendu du Nigeria. Il visait à la mise sur pied avant la fin du mois de juillet d’un contingent militaire multinational de 8700 hommes dans le but de renforcer et de mieux coordonner les forces déjà déployée sur le terrain, et de réduire au silence la secte islamiste Boko Haram qui sévit dans une large zone transfrontalière au nord du Nigeria. Mais il apparaît que les échanges entre les différents participants, pourtant tous unis par la même juste cause, et déterminés à vaincre le groupe terroriste, ne furent pas aussi cordiaux qu’on a pu le lire dans un premier temps. En cause, un problème de détermination, justement. L’urgence n’est visiblement pas la même pour tous, et les autorités de Yaoundé représentées aux assises par le ministre camerounais de la Défense, se sont vus reprocher  de ne pas déployer assez d’efforts dans cette lutte.

Première source d’irritation : le rapport entre le Camroun et son voisin, le Tchad. Sans officiellement parler de tension, ni laisser de place à l’amertume, les officiels du pays ont dit leur frustration. Notamment par rapport à l’absence du Président Paul Biya du Cameroun aux travaux d’Abuja. « La sécurité et la paix n’ont pas de prix. Boko Haram asphyxie complètement l’économie tchadienne. Le Tchad est un pays enclavé qui n’a de débouché vers l’extérieur que par le Cameroun ou par le Nigeria. Si le Nigeria est déstabilisé, le Tchad est complètement asphyxié, pris en tenaille », a expliqué l’ancien ministre de la Justice et le Porte-parole du parti tchadien au pouvoir, le Mouvement patriotique du salut, M. Jean Bernard Padaré.

Ce sentiment est partagé par les autorités nigérianes qui estiment que « le moment est [trop] crucial pour que certains efforts soient dilués. Le combat de l’armée camerounaise contre Boko Haram est un fait. La combativité des Camerounais n’est pas à démontrer. Les moyens militaires, humains et financiers mis à disposition par le Cameroun, sont tels que sans leur approche de la lutte, la sous-région serait plus affectée. Il reste cependant que nous souhaiterions que les plus hautes autorités de ce pays frères prennent part à certains niveaux de concertations. Le sommet d’Abuja de jeudi dernier en fait partie. » On voit à ce type de ronds de jambes diplomatiques qu’il s’agit d’avant tout maintenir les apparences d’unité. Pourtant, au Nigeria, Boko Haram est une épine majeure dans le pied du nouveau président Muhammadu Buhari, ancien général qui avait placé son expertise stratégique au cœur de sa campagne, promettant de résoudre la crise dans des délais totalement irréalistes.

Son élection, cruciale car elle couronne une alternance pacifique dans la première économie africaine, mais aussi pour la ferveur populaire qui avait caractérisé sa campagne et l’annonce du résultat, n’en demeure pas moins fragile – Muhammadu Buhari a été élu avec les voix de 43 % des votants, soit 23 % des inscrits et seulement 16,9 % des citoyens en âge de voter. De plus, comme dans de nombreuses campagnes menées sur le front du changement – il n’est pas surprenant d’apprendre qu’il avait été conseillé par le cabinet de David Axelrod, l’homme qui se cache derrière le « Yes we can » d’Obama –  le bât blesse lorsque les promesses de campagne sont confrontées à la réalité e terrain du pays. Pensez au reprises ironiques du slogan de François Hollande « le changement c’est maintenant. »

Buhari est parfaitement conscient que la réussite du combat contre Boko Haram dépasse la seule armée nigériane, si longtemps mise à mal par le groupe, et passe par l’entente avec les Etats voisins. En conséquence il s’efforce de renforcer la coopération régionale mise en pace par son prédécesseur et rival, Goodluck Jonathan, afin d’honorer au mieux ses engagements présidentiels. Les annonces symboliques, du type de celle faite lors de son discours d’investiture du 29 mai, dans lequel il annonçait que le déplacement du commandement de l’armée nigériane d’Abuja à Maiduguri, capitale de l’Etat de Borno, épicentre des actions de Boko Haram, ne sont qu’un maigre os a ronger pour l’opinion publique.

Or le conflit semble stagner et les attentats meurtriers continuent – pas plus tard qu’hier, au moins dix personnes ont perdu la vie dans un marché du nord-est du Nigeria mardi quand une fillette à peine âgée de 12 ans s’est fait exploser. Cet attentat-suicide intervient au lendemain d’une autre attaque menée par une jeune kamikaze dans une gare de bus au marché aux poissons de Maiduguri, la plus grande ville du nord-est du Nigeria, faisant au moins 20 morts et 50 blessés. Au total, selon un décompte AFP, plus de 200 personnes ont été tuées dans des violences islamistes depuis le 29 mai, date de l’investiture de Buhari. Et celui-ci sait très bien que les médiocres succès de Jonathan contre la secte lui ont coûté la victoire, et que le cas échéant, il ne fera pas exception.

Buhari est également confronté à la réforme herculéenne du secteur pétrolier (24 % du produit national brut en 2014, pour environs 53 % des recettes budgétaires) qui vit une crise profonde. Elle s’explique notamment par le faible prix du baril imposé par l’Opep, et la contraction des investissements – les majors attendent la mise en application d’un nouveau cadre juridique (Petroleum Industry Bill), en discussion depuis 2007. De plus, leurs activités sont touchées par l’insécurité des installations : vols de pétrole (représentant plusieurs centaines de milliers de barils par jour) et vandalisme. Confortablement élu dans le nord du pays avec des scores oscillant entre 80 et 90 % des suffrages, il a rarement dépassé les 10 % dans le delta du Niger, cœur économique du pays. Il lui faut donc convaincre rapidement les leaders locaux et engager des discussions avec les militants qui ont enflammé la région de 2006 et 2009, causant une diminution par quatre de la production pétrolière au pire de la crise. Autant de chantiers en cours, qui mettent l’homme dans la délicate position de se voire accuser des mêmes tares qu’il avait reproché à son prédécesseur.

Quitter la version mobile