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L’industrie du tabac dans le collimateur de la justice québécoise

Une affaire aux airs marathon

Comme d’habitude, les chiffres entourant l’industrie du tabac donnent le tournis. Dans une affaire datant de 1998, la justice québécoise avait été saisi dans le cadre de deux recours collectifs. Ces actions intentées représentant près de 1,02 million de plaigants dont certains fumaient depuis les années 1960. Le procès en nom collectif ne s’était ouvert qu’en mars 2012.  La cour a entendu depuis 78 témoins en 234 jours d’audiences, et quelque 27 000 documents ont été déposés en preuve. Les avocats des parties civiles accusaient les cigarettiers d’avoir véhiculé « de fausses informations » sur leurs produits et d’avoir délibérément choisi « de ne pas utiliser les parties du tabac » à faible teneur en nicotine afin d’entretenir la dépendance des fumeurs.

A l’issue de dix-sept longues années de procédures, la Cour supérieure du Québec a fini par condamner lundi 1er juin, les trois multinationales de tabac, Imperial Tobacco Canana, Rothmans Benson & Hedges et Japan Tobacco International, dans un jugement long de près de 300 pages. Les trois multinationales condamnées ont immédiatement contesté le verdict du juge Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec. Quatre accusations ont été ainsi retenues par le magistrat contre les fabricants de cigarettes, dont les manquements « au  devoir général de ne pas causer un préjudice à d’autres »  et à l’obligation  « d’informer ses clients des risques et des dangers de ses produits ».

 

A Procès historique, mesures historiques

Le magistrat ordonne en outre aux cigarettiers de commencer le versement des dommages et intérêt, que la cause soit portée en appel ou non. Les trois entreprises devront ainsi débourser plus de 1 milliard de dollars canadiens d’ici à la fin de juillet. « Au cours des quelque cinquante années de la période couverte par les recours collectifs, et pendant les dix-sept années qui ont suivi, les sociétés ont gagné des milliards de dollars aux dépends des poumons, des gorges et du bien-être général de leurs clients », ont justifié les magistrats. Les documents présentés en preuve, notamment des notes internes des fabricants, soutenaient la thèse selon laquelle certains consommateurs ignoraient les dommages causés par le tabagisme, ou en saisissaient mal l’ampleur.

« Nous estimons qu’il y a des motifs solides d’interjeter appel de ce jugement », a précisé Tamara Gitto, vice-présidente d’Imperial Tobacco Canada, annonçant l’intention du cigarettier de saisir la Cour d’appel du Québec. La nouvelle séquence juridique qui s’ouvre avec l’appel des cigarettiers devrait s’étaler sur plusieurs années, allant sans doute jusqu’à la Cour suprême. « Les consommateurs adultes et les gouvernements étaient au courant des risques associés à l’usage du tabac depuis des décennies », d’après Imperial Tobacco. Le groupe estime que le jugement de lundi « cherche à dégager les consommateurs adultes de toute responsabilité concernant leurs actes. » Mais il est important de rappeler qu’une des cibles majeures pour ces entreprises sont les jeunes – avec risques d’addiction accrus si la consommation commence tôt. l choix de terminologie (jeune adultes pour parler de mineurs) et dit long.

 

Un nouveau chapitre dans la lute contre les méfaits du tabac?

Ce jugement lance un message fort qu’aucune industrie n’est au-dessus de la loi. Peu importe l’importance de son activité de lobbysme et l’influence de son réseau, l’industrie du tabac semble de plus en plus confrontée ont conséquences de la consommation de cigarette. Rappelons à ce titre qu’en France seulement la cigarette cause 78 000 morts par an – soit 200 par jour. De nombreuses actions ont été entreprises afin de réduire la consommation de tabac, mais dans la configuration actuelle des réseaux d’influence politiques, les gouvernements ont pour le moins eu les pieds froids – Les lobbystes font peur aux élus en affirmant que s’ils votent des lois antitabac, ils perdront le vote des fumeurs. En France, toujours, la principale mesure anti-tabac du projet de loi Santé. Ainsi à partir de mai 2016, les paquets de cigarettes auront tous les mêmes taille et couleur, sans logo permettant de les distinguer. Les messages sanitaires et les images choc, quant à elles occuperont 65% de la surface du paquet.

Si un tel changement n’amènera pas de changement pour les fumeurs réguliers, qui ont déjà leurs habitudes de consommation, il peut être dissuasif pour les jeunes. En s’attaquant à l’imagerie glamour de la cigarette, cette réforme est susceptible de dissuader des entrées dans le tabagisme. Cependant ces mesures sont dérisoires si on observe les conséquences de la consommation de cigarettes. Jusqu’à maintenant l’augmentation du prix restait le principal outil de la lutte contre le tabagisme Mais cet outil a été cassé par l’entente sur les prix mise en place à partir de 2004 par l’industrie de la cigarette. De plus,  en France, sur les 18 milliards d’euros que génère chaque année l’industrie du tabac, le ministère des Finances en récolte 15 milliards sous forme de taxes. On comprend sa réticence à soutenir des mesures qui ferait baisser trop fortement la consommation de tabac et donc ses recettes fiscales.

En outre, s’en prendre aux fumeurs par le porte monnaie revient à se tromper de cible. En ouvrant la voie à des recours directs contre l’industrie, la justice québécoise a rééquilibré la situation. Si cette affaire venait a être confirmée par la Cour suprême, il s’agirant d’un signal très positif pour les tribunaux d’autres pays. Reste à savoir si les instances supérieures confirmeront cette ligne progressiste.

 

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