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Le Spectre du Grexit enfin écarté, moyennant une nouvelle cure d’austérité pour Athènes

La nouvelle s’est tant fait attendre que beaucoup ont eu du mal à y croire. Ça y est : c’est officiel, le Grexit est évité. Au terme de près de 48 heures de négociations aux allures de psychodrame ponctuées de coups d’éclat, de revirements, de fausses annonces, les dirigeants de la zone euro ont validé lundi matin un projet de troisième plan de secours pour Athènes. Une somme évaluée entre 82 et 86 milliards d’euros sera versée sur trois ans. Après plusieurs semaines de tractations ingrates et d’un suspense sans cesse relancé, les dirigeants européens sont parvenus à un accord maintenant la République hellénique dans la zone euro. Athènes pourra bien bénéficier d’un troisième plan d’aide financier européen, permettant à un gouvernement à cours de liquidités de souffler un peu.

Le prix à payer est néanmoins exorbitant. Alexis Tsipras, l’insurgé, voit son pays placé sous tutelle monétaire, fiscale et politique moins de six mois après que Syriza y ait été élu pour, justement, mettre un terme à l’austérité. Une issue heureuse pour certains, et moins pour d’autres, tant elle définit le nouveau visage d’une Europe. Les Grecs étaient prévenus : les Allemands durciraient le ton après le référendum. Dans l’accord qui a été arraché lundi 13 juillet entre le gouvernement Tsipras et ses créanciers, il est prévu un certain nombre de mesures d’austérité, dont certaines n’étaient même pas au programme dans les précédents accords. Il est notamment annoncé la privatisation d’entreprises publiques à hauteur de 50 milliards d’euros. L’accord évoque également le fait qu’Athènes devra « consulter les institutions [créancières] et convenir avec elles de tout projet législatif dans les domaines concernés dans un délai approprié avant de le soumettre à la consultation publique ou au Parlement. » Cela annonce un droit de regard des créanciers sur la politique intérieure grecque dont les contours restent largement à éclaircir.

Certains citoyens et sympathisants du gouvernement d’Alexis Tsipras en parlent comme d’une « humiliation » ou d’un « coup d’État institutionnel », à l’image du #ThisIsACoup apparu sur Twitter. Le gouvernement Tsipras aura fort à faire pour amadouer son opinion publique, à laquelle il avait promis de rompre avec l’austérité et les « diktats » des bailleurs de fonds. Ce dernier, acculé par l’effondrement progressif de l’économie grecque et des banques, a dû lâcher beaucoup, notamment sur des sujets qu’il avait placés au cœur du débat, et à propos desquels ils avait dit être intraitable. Les premières fissures dans Syriza sont déjà apatentes. Un député de premier plan de Syriza, Dimitris Kodelas, a indiqué lundi qu’il allait démissionner du groupe parlementaire après le vote au Parlement mercredi où il ne va pas approuver les nouvelles mesures.

Ce revirement augure un vote délicat au Parlement grec qui doit valider l’accord dans la journée de mercredi. Si Syriza sera sapé par des frondeurs, dénonçant de trop grandes concessions faites à Bruxelles – beaucoup disent Berlin – les partis d’opposition du centre droit et de la gauche devraient soutenir le projet, comme ils l’ont toujours fait. Ce vote présage sans doute des mouvements importants et une redéfinition de l’organisation du pouvoir au sein du parlement grec. Dans tous les cas, les mains du premier ministre, ou de son successeur, seraient liées pour au moins trois ans. Plus de référendum possible, donc. La Grèce perd une partie de sa souveraineté. La troïka, s’est substituée à l’autorité de l’Etat, ce que de nombreux dénoncent comme une ingérence inacceptable, i,digne de l’Europe.

Tout en saluant l’accord conclu à Bruxelles sur la Grèce, les journaux européens restent partagés. En Espagne, El País écrit « Ce [lundi] matin, la politique européenne tournait entièrement autour d’une femme, la chancelière Angela Merkel, chef d’orchestre d’une des nuits européennes les plus longues et les plus dramatiques de ces dernières années », dénonçant l’humiliation du peuple grec. En Slovénie, de l’autre côté de l’ échiquier, le Dnevnik dénonce un « chantage de l’Allemagne au sein de l’Eurogroupe » grâce auquel « la Grèce est parvenue à un accord. » Berlin semble porter le responsabilité aux yeux des pro comme des anti Grexit, sans discernement. Pour l’Helsingin Sanomat en Finlande, « Les Grecs n’ont pas été humiliés – l’accord sans gagnants ni perdants ». Le journal se veut positif, mais souligne qu' »il reste beaucoup de travail à faire. »  

Là où Alexis Tsipras a marqué un point, c’est sur le front du désendettement. La moitié des 50 milliards d’euros levés, si l’accord est validé par les parlements nationaux, vont sans surprise être affectés au renflouement des banques, alors que 12,5 milliards iront au désendettement. Mais 12,5 autres milliards seront investis pour relancer la croissance. Un pas dans son sens, donc, bien qu’il demeure modeste. Au total, la procédure pourrait prendre deux ou trois semaines au cours desquelles la Grèce se trouvera toujours à court de liquidités, alors même que s’approche la perspective d’un nouveau défaut de paiement grec, cette fois à l’égard de la BCE, à qui Athènes doit 3,5 milliards d’euros à l’échéance du 20 juillet.

D’ici là, Athènes pourrait bénéficier d’un financement d’urgence. Mais l’Eurogroupe de lundi, qui était censé trouver des solutions transitoires pour la crise des liquidités grecques, s’est conclu sur un échec. Cette conclusion maussade montre comment ces derniers mois, Aléxis Tsípras est a défié une certaine conception de l’Europe. Qu’on le veuille ou non, une certaine idée de la construction européenne – celle de Schuman, Monnet ou Delors – fait pâle figure ces jours-ci. Reste à voir qui pensera l’Union de demain, pour l’heure abandonnée au bon vouloir des marchés.

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