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Airbnb, facteur aggravant de la crise du logement ?

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Airbnb a été fondé en 2008 à San Francisco. Au départ, pour faire face à la surréservation des hôtels de la ville, les créateurs du site proposent une chambre de leur appartement, avec un matelas gonflable (air bed) et un petit déjeuner (breakfast) – d’où le nom d’Airbnb. L’activité du site, qui connaît un immense succès dans le monde, a rapidement muté, pour atteindre une ampleur toute autre : 94 % des quelque 45 000 utilisateurs franciliens actuels de Airbnb se sont inscrits après 2011. Problème, ce succès fulgurant entraine des effets pervers, au nombre desquels l’aggravation de la crise immobilière en France.

Le marché des logements locatifs délesté au profit de celui de l’hébergement touristique

La location d’appartements n’est pas nouvelle, elle était déjà courante dans les stations de sports d’hiver ou au bord de la mer, mais le rapide développement de l’offre dans les grandes villes et le succès des sites comme Airbnb lui donne un nouveau visage, bien plus inquiétant. Si Airbnb recensait à ses débuts des étudiants proposant un matelas dans leur salon, on trouve aujourd’hui sur le site de la startup californienne des appartements de tous standings, de la chambre de bonne au penthouse. La confiscation du parc immobilier s’organise et n’épargne personne.  

« Le phénomène nous inquiète beaucoup », confie ainsi Ian Brossat, adjoint au logement du maire de Paris. La crainte est qu’Airbnb fasse subir aux grandes villes françaises un sort similaire à celui de Barcelone, où ce type d’hébergement a défiguré la cité, et largement contribué à la crise immobilière. Cette seule ville compterait plus de 137 000 lits offerts sur Airbnb, soit deux fois plus que l’offre hôtelière classique. Si la location par des citadins de leur propre appartement pendant une, deux, trois ou quatre semaines par an en période  de vacances n’est évidemment pas la racine du mal, on assiste à une prolifération des multipropriétaires « spéculateurs », qui louent toute l’année sans déclarer, soustrayant ainsi leur bien du marché locatif traditionnel.

Destinés en permanence aux touristes, ces appartements font disparaître des logements auparavant réservés aux locaux.  Ainsi, des dizaines de milliers de logements, jadis loués aux personnes travaillant et vivant dans ces villes, on été détournés, Internet aidant, de leur fonction initiale, et sont désormais exclusivement des meublés touristiques à l’année pleine. En restreignant l’offre locative, ces meublés, en croissance exponentielle, contribuent largement à la crise du logement que connaît la capitale française. La tendance est d’autant plus prononcée que, selon le quotidien Libération, le site Airbnb est de plus en plus envahi par les agences immobilières. Plus de 2000 locateurs proposent plus de dix logements simultanément. L’un d’eux en offrirait même plus de 200.

Environ 30 000 logements locatifs auraient ainsi basculé en toute illégalité dans une fonction d’hébergement touristique dans la seule ville de Paris. Pas tout à fait un hasard, quand on sait que selon le quartier, la surface, le cachet, un deux-pièces se loue entre 600 et 1 500 euros par semaine et peut rapporter de 2 000 à 4 000 euros par mois sur Airbnb. Il existe même aujourd’hui des sites sur lesquels des professionnels aident les multipropriétaires – ou les investisseurs immobiliers – à identifier les appartements les plus rentables pour ce type d’opération, en leur indiquant les superficies les plus recherchées, les tarifs pratiqués, les lieux les plus indiqués, etc. (http://www.airdna.co/)

Airbnb minimise, rappelant que plus de 90 % des utilisateurs du site ne proposent qu’un seul logement à la location. Peut-être, mais pas à Paris où, selon l’étude Jacquot-Cousin- Chareyron, 19 % des appartements mis en location le sont par des personnes multipropriétaires, et où Airbnb favorise précisément le renforcement de cette tendance, en faisant les affaires des propriétaires spéculateurs. Cette concentration du parc immobilier locatif touristique, comme cela a été le cas pour les licences de pêche en Islande ou d’armature en Grèce, est de mauvais augure. On peut déjà percevoir, dans les grandes villes françaises, les effets pervers de cette confiscation du patrimoine entre les mains de certains, qui en abusent pour poser des conditions d’accès de plus en plus difficiles : files d’attente interminables devant les portes d’appartements à louer, tarifs prohibitifs, nécessité de se trouver un « parrain » solide pour une simple location, etc.

Un encadrement plus strict mais encore insuffisant ?

Les villes du monde commencent à voir le risque réel posé par l’activité sauvage du site, sans restrictions ou cadre légal précis. La Catalogne est passée à l’action la première. Le gouvernement de cette région autonome du nord-est de l’Espagne a annoncé qu’il allait imposer une taxe de 0,65 euro à Barcelone pour chaque nuitée réservée via le site. Afin de combattre ceux qui font de l’hôtellerie illégale et de s’assurer qu’il s’agit bien de particuliers et non d’entreprises, le gouvernement entend de plus limiter à deux le nombre des chambres offertes en location par propriétaire. Celles-ci ne pourront pas être louées plus de quatre mois par an. La loi obligera même le propriétaire à passer la nuit sur place pendant ces locations. Après plusieurs démarches devant les tribunaux, New York est quant à elle parvenue à obliger Airbnb à lui transmettre ses données afin de pouvoir poursuivre ceux qui louent illégalement leur appartement. Plusieurs autres villes, comme Amsterdam, Washington et Chicago, ont conclu des ententes afin d’assurer la perception des taxes.

À Paris, depuis le 1er mars, une taxe de séjour de 0,75 euro s’applique à chaque location. Le Conseil de Paris a par ailleurs adopté en novembre 2014, à l’unanimité, une délibération qui rend encore plus difficile la transformation d’un logement en local commercial. Il faut, pour prétendre à cette appellation, que le propriétaire s’engage à compenser la surface d’habitation perdue par la création d’une surface de logement équivalente ailleurs dans la capitale. Et si, à l’origine, les logements qui disparaissaient dans les quartiers les plus huppés pouvaient être compensés par la création de surfaces de logement équivalentes dans des zones moins onéreuses, désormais, la compensation doit se faire dans le même arrondissement. Reste que pour éviter les déviances et faire respecter la loi, Paris et les autres grandes villes françaises n’ont d’autres choix que de mettre les propriétaires au pied du mur, en multipliant les contrôles, pour l’instant trop sporadiques. Ce n’est qu’à ce prix que les effets néfastes d’Airbnb sur les prix de l’immobilier parviendront à être régulés. 

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