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Un homme d’affaires montréalais au secours des esclaves de l’Etat Islamique

Le croundfunding – ou financement participatif – est un moyen alternatif pour les entreprises, les particuliers de récolter des fonds pour leur projets : en demandant directement à un grand nombre de particuliers de mettre la main à la pâte, contres certains avantages consentis à l’avance. E système a connu un essor sans précédent grâce à internet et aux réseaux sociaux. Dans la plupart des cas, c’est l’association d’un grand nombre de personnes investissant un petit montant qui permettent aux porteurs de projets de trouver les fonds demandés. S’il sert d’ordinaire à lever du capital pour des projets culturels ou alternatifs, le croundfunding vient de prendre un tournant politique sans précédent. Depuis quelques jours, la presse canadienne relaie l’étonnante initiative de Steve Maman. Cet homme d’affaires canadien s’est mis en tête de libérer des esclaves sexuelles, issues des minorités yazidies et chrétiennes, et capturées par le groupe terroriste Etat islamique (EI).

« Je ne resterai pas passif », affirme t-il. Quitte à financer les activités de l’organisation Etat Islamique. « Des enfants tués pour avoir refusé de se plier aux ordres de Daech. Des fillettes de huit ans violées »…La vidéo réalisée par la fondation de Steve Maman, la CYCY (Christian and Yazidi Children of Irak) donne un aperçu de l’horreur de la vie sous l’Etat Islamique, accusé par l’ONU de tentative de génocide. « Le prix de la vie d’un enfant pour les enlever des mains de Daech se situe entre 1000 et 3000 dollars », développe le businessman canadien. Le 5 juillet, Steve maman a lancé une campagne de financement participatif afin de lever des fonds pour poursuivre la libération de ceux-ci, et a déjà collecté par ce biais quelques 440 000 dollars. Initialement, Maman a compté sur des dons de la communauté juive séfarade de Montréal. De bouche à oreille, le soutien financier est venu d’Allemagne, d’Angleterre, d’Australie, d’Irlande et des États-Unis. Steve Maman espère atteindre les deux millions de dollars (1,8 millions d’euros). 

L’homme d’affaires, entrepreneur dans le secteur automobile à Montréal, n’agite l’actualité que depuis quelques jours. Mais à peine envoyé à la Une des médias, Maman a déjà été affublé d’un surnom surprenant : la presse canadienne l’a baptisé « le Schindler juif ». Soixante-dix ans après avoir sauvé la vie de plus d’un millier de juifs durant la Seconde Guerre Mondiale, l’industriel allemand aurait donc trouvé un successeur en la personne d’un juif originaire du Maroc. Citant le Talmud (« Celui qui sauve une vie sauve l’humanité toute entière »), ce dernier reconnaît la filiation avec l’industriel allemand, bien qu’il trouve le parallèle cavalier. Voyant la progression du groupe terroriste en Irak et en Syrie, Steve Maman décide dans un premier temps d’aider trois familles chrétiennes, dont le village se trouve sur le chemin de Daech. Son action a ensuite pris l’ampleur qu’on connaît aujourd’hui.

Il explique s’appuyer sur des contacts sur place, notamment un pasteur à Bagdad et des négociateurs d’otages. Ces derniers sont en contact avec des intermédiaires, à l’intérieur du “Califat” et font en sorte de libérer femmes et enfants. « Ils négocient directement avec les combattants de Daech et les civils qui détiennent les esclaves sexuelles », poursuit-il. Les libérations se passent en présence de témoins gouvernementaux du Kurdistan. Les miraculés sont ensuite interrogés par son équipe et par des travailleurs humanitaires et leurs noms sont ensuite enregistrés au « bureau du génocide. » Situé à Dahuk, dans les montagnes du Kurdistan irakien, le Bureau des questions relatives aux otages tente depuis fin 2014 d’identifier, de libérer et d’insérer les yazidis kidnappés par l’État islamique.

Si son initiative est souvent saluée, des voix s’élèvent et l’accusent de financer Daech. À Montréal, le milieu universitaire s’interroge sur la méthode employée. « Plusieurs régimes occidentaux se demandent si c’est la chose à faire puisque quand on commence, ça ne finit plus, souligne Frédéric Castel, géographe à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Et même pour des kidnappings d’otages en nombre de quelques dizaines, on est déjà contre. Qu’est-ce que ça va être quand on est avec des milliers? » En France, le directeur du Centre d’analyse du terrorisme (CAT) Jean-Charles Brisard se montre tout aussi sceptique. «En versant de l’argent contre la libération d’otages, je pense que cette initiative privée fait le jeu de Daech», commente-t-il, ajoutant que les rançons représentent 10% du financement de l’État islamique.

Depuis que Daech a repris Mossoul, en Irak, en juin 2014, ses partisans ont violé et agressé sexuellement des milliers de femmes et d’enfants. Beaucoup ont aussi été vendues comme esclaves sexuelles et mariées de force à des combattants de l’État islamique. En août, près de 5 000 Yézidis auraient été exécutés par l’Etat islamique à Sinjar, au nord du pays, selon le Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme. Environ 3000 personnes, pour l’essentiel yazidies, seraient encore entre les griffes du Califat.

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