Au pouvoir depuis tout juste deux ans, Tony Abbott, le premier ministre de l’Australie, a été renversé lundi 14 septembre par un putsch surprise de l’ancien banquier et avocat multimillionnaire Malcolm Turnbull. De plus en plus impopulaire, le chef du gouvernement a été battu de dix voies lors d’un vote conservateur surprise. L’ancien ministre des Communications a été investi par le gouverneur général Peter Cosgrove, qui représente de la reine Elisabeth II, chef de l’Etat australien.
Pas de quartier. En milieu d’après-midi, lundi, M. Turnbull a annoncé sa démission surprise, et le dépôt d’une motion contre Tony Abbott, à qui il reprochait d’être dans l’incapacité de faire face aux difficultés économiques du pays. « Le premier ministre n’a pas été capable d’apporter le leadership économique dont notre nation a besoin », a-t-il déclaré devant les journalistes. « Si M. Abbott reste premier ministre, nous savons ce qui arrivera. Il (…) sera remplacé [lors des prochaines élections sensées être organisées avant 2017] par M. Shorten » – le leader de l’opposition travailliste. Peu après, le premier ministre annonçait la convocation dans la soirée des parlementaires du Parti libéral, la principale formation de la coalition conservatrice au pouvoir, pour un vote qui a signé sa chute : il a recueilli 44 voix, contre 54 pour Malcolm Turnbull.
Déjà affaibli par la fronde d’une partie des députés libéraux en février, Tony Abbott était de plus en plus contesté au sein de son parti, et de plus en plus controversé au sein de l’opinion publique. Ainsi, le Parti travailliste dépasse les conservateurs dans les sondages depuis plusieurs mois. Dans un sondage récent, 63% des électeurs se disaient mécontents de Tony Abbott. Le chef du gouvernement sortant a notamment pâti du ralentissement de la croissance économique et de l’effondrement des cours des matières premières. Le Premier ministre avait réussi à rester en place malgré une motion de défiance portée par l’arrière banc du parti en février. LA liste des remontrances est longue : on lui reprochait de mauvais résultats électoraux, des gaffes à répétition, des revirements politiques et des coupes budgétaires impopulaires. Mais M. Abbott n’avait pas réussi à se refaire une santé dans les sondages et à relancer l’économie alors que l’Australie doit trouver de nouveaux moteurs de croissance pour prendre le relais du secteur minier.
« Tony Abbott a présidé un gouvernement que je considérerais le plus réactionnaire, analyse David Camroux, universitaire et spécialiste de l’Australie, et je pèse mes mots, qu’ait jamais connu l’Australie sur sa politique résumée à des slogans avec les bateaux des migrants « Stop the boats« , « Stop the taxes« , c’est-à-dire arrêter les taxes carbone qui avaient été introduites par les travaillistes. Il était incapable de formuler le message positif et une vision pour l’Australie. En plus, il y a eu le ministre des Finances qui n’était pas tellement compétent et le ministre de l’Immigration qui était un peu comme lui, idéologue. Le Parti libéral était en train de perdre en fait tous les électeurs du centre. La presse Murdoch, qui lui était, pendant très longtemps favorable, commençait depuis quelques mois à le critiquer parce qu’on voyait, comme inévitable, l’élection des travaillistes dans les scrutins prévus en juin prochain. Il fallait donc le sacrifier et ce qui a été fait sans état d’âme par les membres de son parti. »
Lors de son investiture face à la presse, il s’est déclaré plein d’optimisme pour jeter de nouvelles bases qui assureront la prospérité de l’Australie pour les prochaines années. « C’est très enthousiasmant d’être Australien en ce moment », a-t-il déclaré avant de prêter serment devant le représentant de la reine Elizabeth II en Australie, le gouverneur général Peter Cosgrove. « C’est une péripétie que je n’avais pas anticipée, je dois vous le dire, mais une péripétie que je suis honoré de devoir affronter, et j’en suis parfaitement capable ». M. Turnbull a promis un nouveau style de gouvernement, qui tranche avec celui de son prédécesseur, auxquels ses détracteurs reprochaient de prendre unilatéralement ses décisions. Il a également promis de faire preuve de davantage de finesse. L’ ancien banquier d’affaires ayant beaucoup investi dans les start-up technologiques, offrait une alternative toute trouvée pour les déçus du conservatisme « à l’ancienne » d’Abbott.
Turnbull a déjà annoncé un remaniement du gouvernement. Ce conservateur aux idées progressistes sur certains sujets de société – comme le mariage gay ou une politique active pour contrer le changement climatique – devrait écarter les ministres aux idées les plus arrêtées et faire venir au gouvernement du sang neuf et davantage de femmes. Il est notamment soutenu par la ministre des Affaires étrangères Julie Bishop. La ministre des Affaires étrangères a été élue présidente adjointe du parti dans le même temps. Comme les sondages le plaçaient ces derniers mois en tête des libéraux les plus populaires, le parti l’a donc préféré à Tony Abott, espérant se maintenir au pouvoir lors des prochaines élections prévues pour 2016. Il n’a pas pour l’instant expliqué quelle politique économique il entendait mettre en oeuvre alors que le taux de chômage frôle des plus hauts de dix ans et que le pays est frappé par le ralentissement économique de la Chine, son principal partenaire commercial.
Après son renversement soudain par son collègue et rival libéral de longue date, Tony Abbott s’est insurgé contre la violence des méthodes politiques. Malcolm Turnbull devient le quatrième Premier ministre australien en à peine plus de deux ans. La valse sans fin des Premiers ministres n’est pas bonne pour le pays, a dit le perdant. « Au cours de la décennie passée, la politique a changé. Nous avons plus de sondages et de commentaires que jamais auparavant, qui consistent pour l’essentiel à démolir la réputation des gens ». Mais avec un bilan comprenant une augmentation du chômage (aujourd’hui à 6,3 %) et du déficit, mais aussi la baisse de la croissance (aujourd’hui à 2 %) et de la valeur du dollar australien, peut-être l’a-t-il faut tout seul.