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Jeremy Corbyn, un anti-austérité élu à la tête du Parti travailliste britannique

Qui est Jeremy Corbyn, représentant de l’aile gauche du Labour triomphalement porté à la tête du Parti travailliste britannique? Elu avec 59,5 % des suffrages exprimés par les quelques 600.000 adhérents et sympathisants du Labour – presque trois points de plus que Tony Blair en 1994 – l’homme sans cravate, député marginal de l’aile gauche du parti soutenu seulement par une quinzaine de députés (sur 232), confirme son ascension irrésistible. Jeremy Corbyn a battu ses trois rivaux, Andy Burnham, Yvette Cooper et Liz Kendall. Il succède ainsi à Ed Miliband, qui avait présenté sa démission après la victoire totale – et surprise – du Premier Ministre conservateur sortant David Cameron. La première tâche du nouveau leader consistait à former son cabinet fantôme, réplique fictive du gouvernement en place sensé proposer une action alternative. Jeremy Corbyn y est parvenu dans la soirée de dimanche, en dépit de l’hostilité de nombreux caciques du parti. Certains travaillistes craignent en effet que Jeremy Corbyn ne détourne du Labour une partie de son électorat du fait de son opposition à la dissuasion nucléaire et à l’OTAN et ses prises de position en faveur des augmentations d’impôts et des renationalisations. Un choc dans un pays où, depuis Margaret Thatcher, le mouvement de désengagement de l’Etat n’a jamais cessé.

A première vue, difficile de comprendre comment cet orateur passable à l’allures débraillé, militant végétarien, pacifiste et propalestinien déclenche un tel mouvement d’enthousiasme dans la jeunesse – un phénomène que la presse s’est empressée de nommer « corbynmania. » A la mi-juin, sa candidature à la direction du Labour a obtenu en dernière minute les trente-cinq parrainages de députés requis. La plupart des élus avaient coché son nom juste pour se donner une image d’ouverture et affaiblir leurs adversaires. Mais le candidat-alibi de l’aile gauche, habitué aux scores dérisoires et considéré dans le parti comme un has been total a pris son envol, à la surprise générale, dès juillet pour devenir le grand favori des sondages. Et son mode de vie ascétique laisse le mystère entier – pas de voiture ni d’alcool, le budget le plus faible de Westminster. Même la presse tabloïd, très efficace pour fouiner dans les vies privées, n’a pas trouvé grand-chose à se mettre sous la dent. Les journaux populaires reprochent surtout à Jeremy Corbyn d’être antimonarchiste, d’avoir porté un blazer rouge pendant l’éloge funèbre de la reine mère en 2002 et d’avoir entretenu des contacts avec le leader du Sinn Fein irlandais Gerry Adams avant les accords de paix de 1998.

Ce résultat, qui que présagé par les sondages, est un véritable tremblement de terre chez les Travaillistes, dont le credo restait il y a peu encore le modèle social-démocrate de Tony Blair. Corbyn défend un programme très à gauche. Il appelle notamment à la re-nationalisation des chemins de fer et de l’énergie, au contrôle des loyers ou à l’instauration d’un salaire maximum.  La fracture créée par la victoire de Jeremy Corbyn est d’ailleurs on ne peut mieux illustrée par les inquiétudes de nul autre que Tony Blair : « Même si vous me détestez, s’il vous plaît, ne précipitez pas le Labour du haut de la falaise », a-t-il insisté quelques jours avant le vote. Le faits ont suivi : un élu du Labour a renoncé à ses fonctions de porte-parole pour les questions de santé alors que le chef du Labour était en train de prononcer son discours de remerciement. D’autres démissions ont suivi dans la foulée. Détesté au sein du parti par les cadres du Labour, Corbyn  n’en reste pas moins apprécié par les sympathisants, qui perçoivent le score comme un désaveu important de la politique d’austérité du Premier ministre David Cameron.

Réélu député sans discontinuer depuis 1983 dans la même circonscription (Islington North), il a su toucher une corde sensible chez de nombreux travaillistes en refusant le consensus favorable aux milieux d’affaires mis en place par Tony Blair qui, après avoir remporté trois élections pour le Labour et être resté au pouvoir dix ans (1997-2007) subit une perte de vitesse considérable. Coïncidence du calendrier, la grand-messe annuelle de la grande confédération syndicale britannique, le Trade Union Congress (TUC), s’est ouverte ce dimanche à Brighton, une station balnéaire du sud-est de l’Angleterre, le lendemain de sa victoire. De fait, « Jeremy » est dans toutes les discussions au centre de conférence où se côtoient mouvements syndicaux, associations, mouvements pacifistes ou de solidarité internationale de la gauche britannique. Pour la plupart des militants venus à Brighton, l’arrivée de M. Corbyn et de ses idées résolument à gauche à la tête du principal parti d’opposition constitue une véritable bouffée d’oxygène. Plusieurs des principaux syndicats du TUC affiliés au Parti travailliste, notamment Unite (secteur privé) et Unison (secteur public), ont en effet mis tout leur poids derrière M. Corbyn.

Cette victoire reflète également l’émergence d’un mouvement populaire européen, qui un soutien les mouvements de la gauche radicale anti-austérité un peu partout en l’Europe avec Syriza en Grèce et Podemos en Espagne. David Cameron n’a d’ailleurs pas attendu longtemps avant de l’attaquer sur cet angle. Après les formalités d’usage et un appel pour féliciter Jeremy Corbyn de sa victoire, le Premier ministre a choisi Twitter pour poter le premier coup et agiter l’épouvantail du « péril rouge » : « Le Labour représente maintenant une menace pour notre sécurité nationale, pour la sécurité de notre économie et celle de votre famille. » Entre les divisions au sein de son parti, et l’épouventail du « retour au gauchisme du début des années 1980 », la seule certitude est que seul le plus facile a été accompli pour M. Corbyn et ses proches. « Il va y avoir maintenant une bataille difficile contre la bureaucratie blairiste », attend Mark Best, du Parti Socialiste, une composante du Parti travailliste exclue dans les années 1990. « La seule façon pour Jeremy Corbyn d’appliquer son programme sera de mobiliser et de s’appuyer sur le mouvement » populaire qui l’a fait gagner. Le premier test électoral ne se fera pas attendre : au printemps, lors des élections au Parlement semi-autonome d’Ecosse le Labour de Corbyn doit ramener au bercail les travaillistes écossais qui ont, en masse, déserté le parti fondé par l’un des leurs, Keir Hardie, en 1900.

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