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Contrebande de cigarettes, source inquiétante de financement du terrorisme

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Le bilan affolant des attentats de Paris laisse sans voix, mais ne doit pas dispenser d’engager une réflexion profonde sur la façon dont lutter efficacement contre le fléau terroriste. A l’heure où les politiques et les experts préconisent d’assécher l’Etat islamique en orchestrant une asphyxie financière du groupe, les études sur les sources de revenus de Daesh se multiplient, et une vérité surprenante affleure : le trafic de cigarettes serait un moyen significatif de financement du terrorisme dans le monde.

Un rapport publié en 2015 par le Centre d’analyse du terrorisme (CAT) fait un constat alarmant : la contrebande et le trafic de cigarettes représentent plus de 20 % des sources criminelles de financement des organisations terroristes. Ces affirmations sont issues des conclusions croisées de 75 procédures judiciaires internationales menées depuis 2001. En tout, « près de 15 organisations terroristes dans le monde recourent régulièrement et dans des proportions importantes à la contrebande et à la contrefaçon de cigarettes pour se financer, notamment les talibans pakistanais (TTP), Lashkar-E-Taiba (LeT), Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), le Hezbollah, le Hamas, les Farc, le PKK, ETA et l’IRA. »

Les exemples sont nombreux et inquiétants par leur ampleur : le démantèlement en l’an 2000, dans le cadre de l’opération « Smokescreen », du plus vaste réseau de contrebande de cigarettes aux États-Unis, orchestré par un certain Mohamad Youssef Hammoud, le montre. Le trafic reliait la Caroline du Nord (où les cartouches sont taxées 0,65 dollars) et le Michigan (où la taxe s’élève à 7,50 dollars), et permettait de remplir les caisses du Hezbollah au Liban et au Canada. Il avait permis de dégager un bénéfice de plus de 8 millions de dollars.

En mai 2013, une autre enquête, toujours aux États-Unis, avait conduit à l’arrestation des membres d’un autre système similaire, cette fois établi entre la Virginie et New York. Les 16 hommes du groupe, tous en lien avec le Hamas et le Hezbollah, revendaient des cigarettes en quantités industrielles, générant un profit de 55 millions de dollars et occasionnant un manque à gagner de 80 millions de dollars pour New York. Mais la tendance ne touche pas uniquement les pays occidentaux.

Dès le début des années 90, l’une des figures les plus tristement célèbres du terrorisme en Afrique, l’ancien commandant d’Aqmi Mokhtar Belmokhtar, avait lui aussi été de la combine. Le commanditaire de la prise d’otages d’In Amenas en Algérie en janvier 2013 ainsi que de l’attentat de Bamako du 7 mars 2015 avait mis sur pied « son propre réseau » dans la principale zone de transit des trafics, au Nord-Mali. La notoriété de son commerce lui avait valu le surnom édifiant de… « Mister Marlboro. »

Plus alarmant encore, ce trafic peut servir de mode de financement aux agents solitaires placés sur le sol occidental. Amédy Coulibaly, responsable de l’attaque armée de Montrouge visant les forces de l’ordre, et de la prise d’otages de l’Hyper Cacher, les 8 et 9 janvier 2015, ainsi que son mentor Djamel Beghal, condamné à dix ans de prison pour un projet d’attentat, avaient tous deux pratiqué la contrebande de cigarettes. Lors de perquisitions effectuées en 2010 dans des boxes utilisés par le premier, deux cartons de cartouches de contrebande avaient été retrouvés.

Malgré l’interdiction formelle de fumer sur son territoire, on suspecte également largement l’EI d’alimenter un important flux de contrebande passant par le Liban, le Nord de l’Irak et la Turquie. Louise Shelley, professeur à la George Mason University et experte en terrorisme, explique que ça n’est plus un tabou pour les djihadistes de coopérer avec des criminels ordinaires. « Un grand nombre d’experts que j’ai rencontrés disent que, pour les islamistes, les criminels sont « utilisables ». Ils ne sont pas intouchables. Il est possible de recruter parmi eux des candidats au djihad, en leur promettant une rémission de leurs péchés. Cette offre est très attrayante pour les musulmans. Un grand nombre de combattants au sein de l’EI ont un passé criminel. » Elle ajoute : « Dès l’instant où ils ont dû compter sur un moindre soutien des États, les terroristes se sont tournés davantage vers la grande criminalité. »

Ces révélations ont provoqué l’inquiétude de nombre de représentants politiques, dont le secrétaire d’Etat au Budget Christian Eckert. Ce dernier a ainsi récemment mis en garde dans un entretien donné au Figaro : « il est avéré que beaucoup de djihadistes sont très proches de la petite délinquance (contrefaçon, tabac de contrebande, drogue) », avant d’appeler à des mesures afin de limiter ces moyens de subsistance sur notre territoire. Il apparait en effet urgent de couper le robinet. Pas impossible,

 Le paquet neutre, facteur aggravant du commerce illicite

D’après les estimations de l’OMS, sur 6000 milliards de cigarettes vendues chaque année dans le monde, 12% le seraient dans un cadre illicite. Dans ce contexte, et du fait de la libre circulation des marchandises au sein de l’UE, il est important de prendre des mesures limitant la contrefaçon au niveau européen. Un alignement des prix permettrait d’éviter les échanges inter-pays. Aussi, la directive européenne imposant à tous les pays d’Europe le même avertissement sanitaire, recouvrant 65% du paquet de cigarettes, est une mesure qui doit être soutenue. Ce texte, en mettant tous les pays sur un pied d’égalité, permettrait un meilleur contrôle à l’entrée des produits, puisqu’ils seraient tous similaires.

La loi sur le paquet neutre apparaît en revanche contreproductive. L’Australie, l’unique pays à avoir adopté le paquet générique a vu le trafic illicite exploser après la mise en place de cette loi, pour atteindre près de 14 % des ventes nationales. Les économistes prévoient une progression du marché parallèle en France encore plus importante si une telle mesure était prise, du fait des échanges entre les pays facilités par l’espace Schengen. En France, ce chiffre dépassait déjà les 26% des ventes totales en 2014. Il serait stupide de donner le bâton pour se faire battre en augmentant cette tendance, par l’adoption d’une mesure que l’Hexagone serait le seul à mettre en place, et qui le fragiliserait donc au plus haut point… tout en constituant un appel d’air considérable pour les groupes terroristes en quête de marchés faciles. 

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