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Crise d’Air France : quid de l’inertie du gouvernement ?

Si le gouvernement français, qui affirme soutenir Air France depuis le début de la crise, semble sincèrement s’inquiéter du sort du groupe, la situation actuelle d’Air France KLM est largement imputable à un environnement très peu propice à une activité concurrentielle. Il s’agit d’ailleurs d’un des seuls sujets sur lesquels toutes les parties – les différents syndicats et la direction – sont d’accord. « L’État régulateur défavorise l’environnement économique dans lequel notre compagnie est plongée et arbitre souvent au profit de nos concurrents », dénonce l’intersyndicale d’Air France.

Baisser les charges pour regagner en compétitivité

Premier hic, les taxes aéroportuaires en France sont parmi les plus élevées du monde. A cela il faut ajouter des redevances de navigation aérienne plus élevées que sur les autres continents et des charges sociales supérieures à la moyenne européenne et mondiale. Air France a versé près d’1,5 milliard d’euros de taxes liées aux billets d’avion en 2014. Si l’on ajoute la taxe de l’aviation civil ou celle sur les nuisances sonores aériennes, le montant avoisinerait les trois milliards d’euros. Sur le prix d’un billet d’avion, Air France paie 53 % de taxes et de redevances.

Il existe également la taxe de solidarité sur les billets d’avion (dite taxe Chirac), qui sert à financer la recherche dans la lutte contre le Sida. Si louable soit-elle, cette ponction revient à près de 100 millions d’euros par an perdus pour Air France. Une somme considérable qui pourrait servir à financer les développements du groupe, où à maintenir le personnel tel quel. En résulte un déséquilibre concurrentiel qui pénalise le groupe de manière conséquente.

Le rapport sur l’amélioration de la compétitivité du transport aérien remis début novembre 2014 par le député Bruno Le Roux proposait l’allégement des taxes exclusives au transport aérien français ou européen. Sur la douzaine de mesures « urgentes à court terme » formulées par le rapport, seule l’exonération de la taxe de l’aviation civile pour les passagers en correspondance, taxe sans équivalent dans le reste du monde, a été retenue. S’il s’agit d’une avancée certaine, il est également nécessaire de geler la hausse des redevances d’Aéroports de Paris (après une hausse prévue de 2,4 % cette année, ADP prévoit de continuer à augmenter ses tarifs de 1,75 % par an, hors inflation, sur la période 2016-2020, alourdissant encore la facture pour Air France).

La concurrence des compagnies du Golfe

Non content d’astreindre Air France à un système de taxation exceptionnellement lourd (et largement plus imposant que le reste de la concurrence mondiale), le gouvernement français a procédé à une ouverture du marché aérien à des grandes compagnies concurrentes. Pour les vols longs courriers, Air France est contraint d’affronter la concurrence des compagnies du Golfe sur des marchés traditionnellement acquis. Ces compagnies bénéficient de conditions d’exploitation et de conditions sociales largement moins contraignantes que les lignes européennes – et surtout françaises – et de ce fait font d’importantes économies.

Si elles disposent de marchés domestiques très limités (80 % des passagers embarqués en métropole par les transporteurs du Golfe se rendent dans un pays situé hors du Moyen-Orient), elles ont développé une politique agressive d’annexion d’espaces aériens voisins. Elles sont rendues possibles grâce à une subvention d’états mirobolantes (réalisées grâce aux recettes pétrolières) qui leur permet de s’équiper d’appareils dernier cri et d’offrir des vols à bas prix. Air France, en revanche, doit financer seul ces investissements colossaux.

En réaction à cette concurrence déloyale, la commission européenne s’est saisie de ce sujet et une procédure légale est en cours. Les lobbys font tout pour ralentir la justice et la sentence peine à tomber, laissant pendant se temps, les compagnies subventionnées se tailler la part du lion. Et l’Etat, là encore, ne fait rien pour aider. Négociant la vente d’avions rafales, le gouvernement à concédé aux Emirats Arabes Unis de nouveaux droits de trafic dans l’espace aérien français pour ses compagnies Emirates et Etihad.

Le Qatar, qui a atteint le quota de vols inscrit dans le dernier accord bilatéral avec la France, use aujourd’hui de la même stratégie pour obtenir de nouveaux vols pour Qatar Airways, négociant de nouveaux vols contre l’acquisition d’avions européens. Ainsi, afin de favoriser les ventes d’Airbus et de Dassault, le gouvernement ouvre encore plus large la voie à des concurrents d’Air France, subventionnés qui plus est. Au cours des dix dernières années Etihad, Qatar Airways et Emirates ont reçu pas moins de 42,3 milliards de dollars de subventions. « Ces compagnies, en captant les trafics européens, importent chez elles de l’emploi et exportent chez nous du chômage », affirmait Jean-Cyril Spinetta, ex-PDG d’Air-France KLM.

Air France est encore largement perçu comme un service public alors que le groupe s’est privatisé en 2003. Elle ne peut de ce fait exercer une activité à perte sous prétexte de service public. Dans les années 1990, l’État a utilisé les entreprises publiques comme Air France pour faire baisser les chiffres du chômage. La compagnie est aujourd’hui contrainte d’en assumer les conséquences et doit multiplier les plans de départs volontaires pour se départir de ses sureffectifs.

En somme, l’état condamne le groupe pour une politique dont il est responsable et attend d’une compagnie privée, existant sur un margé régi par les règles classiques de la concurrence, qu’elle se comporte comme une entreprise publique.

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