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Google étend son empire « in real life »

En visite à Barcelone, Paris puis Bruxelles, Sundar Pichai, successeur de Larry Page à la tête de Google, a effectué fin février une tournée européenne digne de celle d’un chef d’État. Avec plus d’un milliard d’utilisateurs et un chiffre d’affaires supérieur au PIB de Cuba, le moteur de recherche se positionne maintenant comme tel, fort d’une politique de partenariats économiques et de programmes sociétaux qui dépasse largement les frontières de l’Internet.

Le 24 février, devant les centaines d’étudiants de Sciences Po Paris venus en masse pour le voir, Sundar Pichai a annoncé de multiples plans d’aides et d’investissements à coups de millions dans la formation, la presse en ligne et le numérique en France et en Europe. Si l’opération de séduction n’a trompé personne, elle confirme les insatiables velléités de Google de devenir bien plus qu’un simple moteur de recherche.

Supplanter les États et entretenir son monopole

Comme toute multinationale aux dents longues, la firme, qui a transféré en 2015 ses activités non historiques à Alphabet Inc. – conglomérat créé pour l’occasion –, est empêtrée dans des contentieux qui la poursuivent depuis plusieurs années. Après son intervention à Science Po, Sundar Pichai s’est ainsi entretenu dans la soirée avec le ministre de l’Économie, Emmanuel Macron, pour évoquer la dette de 1,6 milliard d’euros réclamée par le fisc français à Google. Le lendemain, il était attendu de pied ferme à Bruxelles par la commissaire européenne Margrethe Vestager pour s’expliquer sur l’affaire d’abus de position dominante. La maison-mère de Mountain View, dans la baie de San Francisco, est accusée, entre autres, de favoriser son service « Google shopping » dans les résultats de son moteur de recherche aux dépens d’autres comparateurs de prix en ligne.

Ferme sur ses positions, Google refuse toute concession au développement de son modèle économique novateur, certes, mais qui empiète de plus en plus sur les platebandes des États. Engagé sur les terrains de l’accès à Internet, du droit à l’information, de la lutte contre le piratage et le terrorisme, le géant américain supplante de plus en plus le rôle de l’exécutif en instaurant ses règles directement avec ses partenaires et ses utilisateurs. C’est ainsi qu’il s’est octroyé le droit de faire supprimer par ses robots tout contenu ne respectant pas les droits d’auteur, et qu’il a imposé à l’Union européenne (UE) ses propres conditions pour le « droit à l’oubli » sur la Toile… L’emprise de grands groupes sur les Etats est d’ailleurs loin d’être une simple hypothèse : tandis que doivent reprendre, le 20 avril prochain, les négociations autour du Traité transatlantique de libre-échange (TAFTA/TTIP) entre les Etats-Unis et l’UE, la possibilité de voir une entreprise comme Google réclamer des millions de dollars à un Etat pour cause de réglementation du marché est plus que probable.

À l’image de Facebook, Amazon et Apple – avec qui le moteur de recherche forme les « GAFA » –, le fantasme « transhumaniste » de pouvoir changer l’Humain par la technique est loin d’être la seule motivation de Google. Le développement économique de ces plateformes les pousse à entretenir un monopole dans leur domaine, qui repose sur des publicités exploitant les données fournies par les utilisateurs. Le problème, c’est que ces accords commerciaux se font souvent au détriment des personnes privées qui, faute d’une concurrence de qualité équivalente, n’ont d’autre choix que de faire appel à leurs services.

Waze, un outil efficace pour accroître les revenus publicitaires

Pour étendre son hégémonie, Google a ainsi racheté plus d’une centaine d’entreprises depuis 2000, comme la plateforme vidéo YouTube en 2006 (1,65 milliard de dollars), la start-up publicitaire DoubleClick en 2008 (3,24 milliards) et l’opérateur de téléphonie Motorola en 2012 (12,5 milliards). En 2013, c’est au tour de l’application israélienne Waze de tomber dans ses immenses tentacules pour un montant de plus d’un milliard de dollars. Sorte de GPS communautaire sur smartphone ou tablette, Waze exploite les informations (travaux, accidents, radars mobiles, etc.) signalées en temps réel par ses 70 millions d’utilisateurs dans 200 pays pour leur proposer le meilleur itinéraire possible. Grâce au gigantesque volume de données qu’elle collecte, l’application a déjà noué des partenariats avec 55 structures publiques et privées dans le monde entier pour rendre les routes plus sûres et faciliter les déplacements.

Lancé en 2014, le programme « Waze Connected Citizens » permet l’échange d’informations non seulement avec les automobilistes, mais aussi avec des partenaires extérieurs comme des concessionnaires d’autoroutes, des sociétés d’assurances et même des collectivités territoriales. En coulisse, il s’agit pour l’application d’exposer ses publicités à un maximum de « wazers », attirés par la pertinence des indications de circulation. En France, Waze a signé avec deux sociétés d’autoroute (Vinci et Sanef) et une assurance (GMF) pour pouvoir afficher sur l’écran des utilisateurs les enseignes partenaires où ils sont susceptibles de consommer en route.

Sous prétexte d’efficacité et de sécurité, Google profite de la position dominante de Waze pour imposer ces publicités au plus grand nombre et continuer ainsi d’étendre son empire sur le principe d’un cercle vertueux… ou plutôt vicieux. En 2014, le rachat de Nest Labs, start-up spécialisée dans les objets de domotique connectés (thermostats, alarmes, etc.), a constitué une étape supplémentaire dans le plan de Google pour s’immiscer un peu plus dans notre quotidien. Une question, désormais, doit être posée : jusqu’où sommes-nous prêts à laisser son emprise nous envahir ?

 

Crédits photo : AFP/Piermont

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