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La quête d’un statut moral pour le lanceur d’alerte

Dans la nuit du mardi 8 au mercredi 9 mars derniers, les députés français ont renforcé le statut du lanceur d’alerte, dans le cadre du vote de la loi sur le pluralisme des médias. Depuis quelques années, nombreuses sont les institutions à être chamboulées par ces dénonciateurs épris d’intérêt général, de la CIA aux Etats-Unis au CNRS en France. Si leur démarche suscite des réactions diverses et variées, c’est que l’on hésite encore à les classer comme garde-fous de la démocratie ou traitre à leur patrie.

A la différence du délateur, le lanceur d’alertes est réputé être de bonne foi, agir pour le bien de la collectivité, en dénonçant certaines pratiques qui pourraient mener à des dommages pour le bien commun. D’après le Conseil de l’Europe, gardien des libertés fondamentales, il s’agit de « toute personne qui révèle des informations concernant des menaces ou un préjudice pour l’intérêt général dans le contexte de sa relation de travail, dans le secteur public ou privé ». Avec l’essor d’Internet et des outils numériques, le rôle et l’importance du lanceur d’alertes se sont considérablement renforcés ; de plus en plus de citoyens pourront être tentés, dans les prochaines années, d’endosser cette fonction. Son statut moral, pourtant, fait encore débat.

L’emblème WikiLeaks

Edward Snowden, l’ancien agent de la CIA qui a révélé plusieurs programmes de surveillance de dimension mondiale, coule aujourd’hui des jours paisibles dans le pays de Vladimir Poutine. Une trajectoire plutôt surprenante pour celui qui s’est éveillé contre un système pensé pour la protection des citoyens, mais qui s’est retourné contre eux. Dans leur quête d’information à tout prix, les Etats-Unis ont mis en place différents programmes capables de suivre une part substantielle des échanges qui ont lieu sur la planète. Révéler l’existence de tels programmes est-il une bonne chose ? Certainement. Le public est en droit de savoir que le concept de vie privée est plus que relatif et que l’argent public est utilisé à des fins d’espionnage d’individus étrangers, mais aussi de l’ensemble des Américains.

Aujourd’hui Snowden est haï par beaucoup de ses compatriotes qui lui en veulent d’avoir dévoilé des secrets d’Etat. La justice américaine aimerait beaucoup s’entretenir avec lui et il est peu probable que l’ancien expert de la CIA puisse revenir un jour dans son pays. Le prix à payer est lourd d’autant plus que les conséquences de ces révélations ne sont pas à la hauteur des espérances. La CIA se fait taper sur les doigts par le Sénat américain, les citoyens crient leur colère et tout continue comme avant. La seule différence est la certitude que l’espionnage industriel est une réalité et non pas un mythe rangé dans la section du complotisme.

La même chose est vraie pour les milliers d’informations publiées par WikiLeaks et qui valent à son fondateur, Julian Assange, de vivre cloîtré dans l’ambassade d’Équateur à Londres depuis juin 2012. Les câbles diplomatiques et autres informations révélées dans le domaine ultra-sensible des relations internationales ont suscité une réelle curiosité et ont permis de confirmer ou d’apprendre des choses qui étaient jusqu’alors imaginées, mais jamais vraiment sues. Le double jeu de certains Etat ou les déclarations fracassantes de diplomates qui devaient rester confidentielles sont de bonnes choses à savoir pour comprendre ce qui se joue en coulisses. Mais là encore, quel est le résultat in fine ? Quels sont les changements concrets qui ont suivi ces révélations ? Le lanceur d’alerte est recherché par la justice américaine pour avoir mis à mal le Pentagone. Le prix est amer.  

Les emplois fictifs du CNRS

Côté français, les lanceurs d’alerte existent aussi, mais sont moins connus. En effet, difficile de mettre à jour des secrets aussi lourds que Snowden et Assange, mais leur combat est également essentiel. On peut retenir Irène Frachon, médecin pneumologue qui a mené la lutte contre le médicament Mediator et le laboratoire Servier qui a tué au moins 500 personnes. Sans son travail pendant de longues années, ce scandale sanitaire n’aurait jamais pu voir le jour. On lui doit une certaine prise de conscience vis-à-vis des agissements de l’industrie pharmaceutique et un avertissement pour l’ensemble des acteurs du secteur. Le travail sur l’éthique dans ce milieu très discret reste en grande partie à faire.

Moins connu encore, mais tout aussi utile dans son domaine, le collectif Libres.org a souligné les égarements du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) il y a plusieurs années – un Centre qui vient d’obtenir la cinquième place du classement Reuters du Top 10 mondial des organismes de recherches en termes d’innovation. Les rumeurs d’emplois fictifs ont été nombreuses, avec des budgets parfois bien plus importants que le travail fourni en réalité, si bien qu’un « ménage » avait été évoqué à l’époque. Il reste pourtant aujourd’hui quelques cas douteux, le Bulgare Atanas Tchobanov étant un exemple parmi d’autres de « chercheur » au bilan bien maigre (deux co-publications) en cinq ans, le laissant libre de faire de la politique à Sofia. En 2014 il s’est ainsi présenté aux élections européennes à la tête du parti écologiste bulgare ; il alimente très régulièrement plusieurs médias sur Internet, dont un, Bivol, dont il est rédacteur en chef. Une carrière politique en Bulgarie financée par de l’argent public français ? S’il est trop tôt pour le dire, cette simple question posée souligne l’importance du lanceur d’alerte, pourfendeur des abus en tout genre.

Célèbre ou anonyme, celui-ci est semble-t-il devenu l’une des références pour un monde plus transparent. Il participe pleinement de l’exercice démocratique même si les risques auxquels il s’expose sont parfois plus grands que les fruits récoltés à terme par les citoyens. Un lanceur d’alerte n’est rien lorsqu’il est seul. C’est uniquement la prise de conscience et les effets palpables qu’il procure qui font de lui un garde-fou de la démocratie. C’est pourquoi il est important de lui fournir un cadre légal clair, comme ont tenté de le faire les députés français début mars.

 

Crédits photo : AFP/Nicholas Kamm

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