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Malgré la répression, les Thaïlandais manifestent contre le régime

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Ils ont finalement manifesté ! Alors que les dispositions prises depuis le coup d’État de 2014 permettent au régime militaire thaïlandais d’interdire tout rassemblement de plus de quatre personnes, des centaines d’opposants ont commémoré dimanche dernier le deuxième anniversaire de la prise du pouvoir par la junte. La police avait longuement hésité avant d’autoriser la manifestation, mais à l’heure où les militaires essuient une volée de critiques pour la gestion économique et sociale du pays, une répression trop violente du rassemblement aurait contribué à ternir l’image du pouvoir.

« Nous sommes ici pour que nos voix soient entendues par les gens qui dirigent ce pays et que nous ne reconnaissons pas », déclarait à l’AFP un étudiant thaïlandais lors de la manifestation de dimanche. C’est que depuis le putsch, toute liberté politique est supprimée. L’Assemblée nationale, le Sénat, le Conseil national de réforme, le Conseil pour la rédaction de la nouvelle Constitution, toutes les grandes institutions sont sous le contrôle de l’armée. Et la junte ne cesse d’élargir ses prérogatives. Ainsi, plusieurs organisations de défense des droits de l’homme, dont Human Rights Watch, s’inquiètent d’un décret adopté début avril qui donne aux militaires des pouvoirs de police étendus. Ceux qui ont le grade de sous-lieutenant pourront appréhender des suspects et les détenir pendant une semaine. Officiellement, la mesure vise à lutter contre la mafia et pallier la pénurie de policiers, mais les ONG craignent qu’elle ne soit utilisée pour réprimer les opposants.

Elles ont des raisons de s’inquiéter. En Thaïlande, les arrestations et procès pour rébellion ou crime de lèse-majesté se sont multipliés ces dernières années. Selon l’association thaïlandaise de surveillance de la répression politique iLaw, depuis la prise de pouvoir par les militaires, au moins 992 personnes ont été convoquées ou ont reçu une visite des soldats, tandis que 527 personnes ont été arrêtées. Aujourd’hui, n’importe quel Thaïlandais peut accuser n’importe quel autre de crime de lèse-majesté, passible de quinze ans de prison. Dans plus de neuf cas sur dix, les juges prononcent des condamnations. Les sites web politiques, les stations de radio, les universités, les réseaux sociaux, tous les espaces de débat sont surveillés. Dans le « Classement mondial de la liberté de la presse » de Reporters sans frontières, la Thaïlande se place au 136è rang sur 180 pays recensés.

Mais la répression ne concerne pas que les journalistes. Selon Amnesty International, « le nombre de personnes harcelées, poursuivies en justice, incarcérées et arrêtées arbitrairement alors qu’elles n’avaient fait qu’exercer pacifiquement leurs droits a enregistré une forte hausse ». Les messages et photos que les Thaïlandais partages sur les réseaux sociaux sont passés au crible et tout commentaire jugé trop critique à l’égard du régime peut être sanctionné. Ainsi, la mère d’un jeune dissident a été incarcérée immédiatement après avoir répondu l’équivalent thaï de « ouais » à un commentaire critique sur la monarchie diffusé sur Facebook. Si elle a été rapidement relâchée sous caution, plusieurs milliers de personnes ont été emprisonnées par l’armée ou sont toujours en détention dans des lieux non officiels.

Les manifestants du 22 mai ont donc bénéficié d’une certaine tolérance. Peut-être parce que les condamnations internationales commencent enfin à se faire entendre. Outre les principales associations et ONG, le gouvernement des États-Unis, l’ONU et l’Union européenne ont exprimé leur préoccupation et ont appelé à un retour rapide à un processus démocratique légitime. Et c’est là que le bât blesse. Car afin de se donner une image démocratique, le régime a accepté de soumettre à un référendum un projet de Constitution. Seulement, celui-ci a été préparé par un comité de rédaction dont les membres ont été nommés par les militaires eux-mêmes.

D’où la teneur très particulière du texte, qui souhaite mettre en place un sénat de 250 membres entièrement nommés par les militaires. Une personnalité extérieure au monde politique et non élue pourra devenir premier ministre. Un comité stratégique contrôlé par les militaires pourra dicter la politique des gouvernements successifs pendant vingt ans. L’Assemblée nationale, élue, sera dépourvue de pouvoir réel. Pour couronner le tout, bien qu’il doive être soumis à un référendum, tout débat public autour du projet est interdit.

Mais les Thaïlandais, qui n’en peuvent plus, ont de moins en moins peur de critiquer le régime. Ils pourraient ainsi suivre le conseil du journaliste Pravit Rojanaphruk, qui encourage les citoyens à braver une junte « qui, au fond, sait que son pouvoir ne repose sur aucune légitimité, mais sur la menace des armes ».
 

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