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Partenariat Guinée-Chine sur la bauxite, un pacte faustien aux conséquences écologiques désastreuses ?

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La Guinée pourrait bien s’affirmer comme le premier fournisseur de bauxite de la Chine. Elle en possède un tiers des ressources mondiales, et a la ferme intention d’exploiter ce minerai sans lequel aucune production d’aluminium n’est possible. Difficile de lui en vouloir, quand on connaît l’était de délabrement économique du pays d’Alpha Condé. Pourtant, la Guinée a tout intérêt à être regardante sur le contenu des accords qu’elle signe avec Pékin. L’Indonésie et la Malaisie, anciens partenaires privilégiés de la Chine en la matière, en savent quelque chose. Ayant confondu vitesse et précipitation en contractant avec l’Empire du Milieu, les deux pays sont désormais sinistrés écologiquement.

L’aluminium est devenu le deuxième métal le plus consommé au monde après le fer, et son importance est telle qu’il constitue désormais un indicateur privilégié de la marche de l’économie mondiale. La production mondiale d’aluminium était de 57,9 millions de tonnes en 2015. Il est présent dans des secteurs aussi divers que le transport (automobiles, avions, camions, trains, bateaux, vélos, etc.), l’emballage (boîtes de conserve, papier aluminium, canettes, barquettes, aérosols, etc.), la construction (fenêtres, portes, gouttières, etc.), les biens de consommation (appareils, ustensiles de cuisine, miroirs, etc.) ou encore l’électronique (câbles). Il est principalement extrait de la bauxite. Il s’agit d’une roche composée, dans des proportions variables, d’hydrates d’alumine, de kaolinite, de silice et d’oxydes de fer – qui lui donnent une coloration rouge. La production d’une tonne d’aluminium demande 2 tonnes d’alumine ; chaque tonne d’alumine nécessitant 2,5 à 2,7 tonnes de minerai. Il faut donc 5 à 5,4 tonnes de bauxite pour obtenir 1 tonne d’aluminium, soit un rendement d’environ 20%.

La production d’aluminium est réputée gourmande en énergie électrique. Son extraction a en effet lieu par électrolyse de l’alumine. Pourtant, les méthodes d’extraction ont largement progressé au fil des ans, d’autant que les énergies utilisées dans le cadre de la production sont de plus en plus « vertes », et que la plupart des gaz émis durant le processus sont réintégrés. Cependant, tous les pays n’ont pas encore actualisé leurs infrastructures de production, et chez eux, cette extraction est encore très polluante. Les techniques plus rudimentaires – et largement plus nocives pour l’environnement – sont doublement moins chères, puisqu’elles s’appuient sur des énergies fossiles cheap (le plus souvent du charbon) avec un bilan écologique catastrophique, surtout en matière de production de dioxyde et de monoxyde de carbone, et qu’il n’y a aucun traitement des pollutions industrielles générées. La production d’alumine s’accompagne en effet de déchets connus sous le nom de « boues rouges. » Les proportions de résidus produits dépendent également du procédé d’extraction.

Ajoutons à cela que l’extraction de ce minerai, qui s’effectue par le creusement de galeries, est en plus susceptible de rejeter des métaux lourds cancérigènes (strontium, césium, etc.), ainsi que de faibles niveaux de radioactivité, si elle n’est pas faite selon un processus durable. Premier producteur et consommateur mondial d’aluminium, la Chine absorbe des quantités insensées de bauxite – des chiffres qui n’ont cessé d’augmenter depuis une dizaine d’années. Au niveau mondial, plus de 50 % de l’aluminium est produit en Chine – soit 31.7 millions de tonnes en 2015. Seulement, cette inondation progressive du marché est problématique car la Chine fait partie des pays les moins regardants en matière de préservation de l’environnement lors de l’extraction et de l’affinage de l’alumine. C’est d’ailleurs ce manque de scrupules écologiques qui lui permet de produire son aluminium à un coût défiant toute concurrence. Sans s’appesantir sur les conséquences économiques de ce décalage normatif, il s’agit de bien comprendre son impact sur l’environnement.

Au-delà des émissions globales, facilement identifiables et condamnables, les systèmes de production « sales » affectent aussi localement l’environnement des régions concernées. Deux pays ont jusqu’à présent eu à pâtir de ces répercussions : l’Indonésie et la Malaisie. Début 2014, l’Indonésie, ancien partenaire numéro un de Pékin, qui fournissait 70 % des besoins chinois, décidait de mettre un terme à l’extraction de la bauxite sur son territoire, pour cause de pollution excessive. Ruissellements de boues rouges, détérioration des pêcheries, contamination des nappes phréatiques, explosion du nombre de cancers et contamination de la chaîne alimentaire, rien n’est épargné à ce pays d’Asie du Sud-Est, qui décide d’arrêter les frais. La Malaisie s’empresse alors de combler la demande. Frénétiquement : Kuala Lumpur a fourni plus de 20 millions de tonnes de bauxite à l’industrie aluminière chinoise en 2015, contre moins de 4 millions de tonnes en 2014. Cette surproduction s’est faite dans de très mauvaises conditions, qui ont également eu pour résultat d’affecter massivement l’environnement et la santé des Malaisiens. Faisant rapidement face aux mêmes conséquences, la Malaisie a restreint pendant trois mois à compter de la mi-janver l’extraction de bauxite, avant de reconduire cette restriction trois mois de plus, jusqu’au 16 juillet 2016.

Perdant en partie sa principale source d’approvisionnement, la Chine cherche un nouveau partenaire. Après une tentative de négociation infructueuse en Australie, elle se tourne aujourd’hui vers la Guinée, trop heureuse de pouvoir exporter sa précieuse roche. Là encore, des efforts de production conséquents sont déployés : en 2014, la Guinée a produit 19,3 millions de tonnes de bauxite (4e producteur mondial et 1er en Afrique), d’après l’agence américaine United States Geological Survey. Le gouvernement guinéen espère encore accroître de 30 % la production de bauxite de la Guinée avant la fin 2016. A cette fin, China Hongqiao Group, le plus grand producteur chinois d’aluminium, a récemment investi 200 millions de dollars en Guinée. But de la manœuvre : obtenir une livraison annuelle de 10 millions de tonnes de bauxite. Compte tenu du marché mondial, la demande chinoise en bauxite devrait atteindre 51,4 millions de tonnes d’ici à 2019. Pour la Chine, le laxisme écologique indonésien et malaisien n’a jamais représenté un quelconque frein, bien au contraire. Il y a fort à parier qu’il en soit de même avec la Guinée, qui compte produire sans relâche ces prochaines années. Selon le CRU, organisme indépendant d’analyse du marché de l’aluminium, la production de bauxite du pays africain pourrait ainsi s’élever à plus de 40 millions de tonnes d’ici 2020. 

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