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Marianne dans la panade ! (partie1)

Si son axe n’a pas bougé, ce qui a changé en revanche ce sont ses désaxés…plus nombreux, plus fourbes, plus équipés, ceux qui perturbent la stabilité d’un monde qui se voudrait harmonieux.

« On pose la question de savoir si l’homme est par nature moralement bon ou mauvais. Il n’est ni l’un ni l’autre, car l’homme par nature n’est pas du tout un être moral, il devient un être moral que lorsque sa raison s’élève jusqu’aux concepts du devoir et de la loi » (Kant, dans Le traité de pédagogie). Alors ? Et ce monde que l’homme façonne comme une pate à modeler, vers quoi tend-il ?

Et à travers ce monde…notre petit pays : la France. Et à travers elle, notre Marianne… Elle en a connu des soubresauts et des modelages elle aussi, mais elle est la ! 

Qu’elle représente la République ou notre pays, qu’elle soit avec un bonnet phrygien ou une couronne de laurier, symbolisée sur des timbres ou croquée en caricatures, voire parée d’attributs maçonniques, notre Marianne est un kaléidoscope d’imagerie. Pour cette figure féminine…que de rebondissements au fil des siècles !

Dernier en date en 2014 : une Marianne reconduite hors de la mairie de Quimper, pour avoir exhibée son opulente poitrine -un 95F-, sa taille de guêpe, et sa bouche « trop siliconée » à faire fantasmer les adolescents de passage dans le hall républicain…En effet, un artiste régional, Yannick Cohonner – connu pour ses pin-up en résine- avait réussi à y faire exposer son œuvre. Plaisirs des yeux ou regards outragés, airs amusés ou frôlant l’apoplexie, le comportement du quidam ne pouvait s’exposer impassible. Résultat : plus de plaintes que de fans… et le buste inspiré d’une strip-teaseuse s’en est allé faire sa révolution ailleurs !

Autre rebondissement, plus lointain, une lettre de Marianne adressée au peuple par le poète révolutionnaire Clovis Hugues, qui écrit en 1871 en pleine Commune : « Lettre de Marianne aux républicains. Citoyens, Votre Marianne n’est plus la robuste femme au bonnet rouge que vous avez connue en 1848. Retenue à Versailles par une grave indisposition, je n’ai plus même la force d’évoquer mes grandeurs d’autrefois. Le drapeau qui m’abritait de ses plis s’est transformé en une immense carotte et c’est sous la forme d’un campagnard endimanché que l’assemblée nationale m’a fait sa première visite. Les planteurs de choux ayant toujours eu le monopole de l’incapacité électorale, je n’ai été nullement surprise d’une aussi ridicule apparition : il manquait un jouet à ce grand enfant qu’on désigne sous le nom de peuple français ; je lui ai donné le suffrage universel qu’il utilise de la façon que vous savez. Pauvre mioche qui fait du bobo à maman République avec les jouets qu’elle lui procure! »[i]. Adolphe Thiers fera condamner Hugues à quatre ans de cellule et à une amende de 6 000 francs.

Rebondissement de plus par le passé, celui de la fin du septennat de M. Giscard d’Estaing sur une série de timbres représentant la République. Dans un entretien de 1990 entre l’ethnologue français Marc Abélès et l’historien Maurice Agulhon, ce dernier déclarait : «Effectivement, vers la fin du septennat…, la République à bonnet phrygien et la mention « République française » qui figuraient sur un timbre y ont été remplacées par une République plus belle, mais sans bonnet phrygien, et la mention « France ». Cela est apparu assez réactionnaire pour que le président Mitterrand,…, et le ministre des PTT Mexandeau reviennent au timbre-poste avec la tête de la Liberté de Delacroix et les mots « République française ». Ce qui est remarquable, c’est que les quelques journalistes qui en ont parlé l’ont plutôt fait sur le mode de la plaisanterie que sur un ton véhément. Quant au grand public, il ne s’est pratiquement aperçu de rien. Cette faiblesse de réception fait mesurer le chemin parcouru depuis le début de la III ème République. A l’époque ces choses recouvraient des enjeux symboliques perçus comme tels, et suscitaient donc…plus de passion que de nos jours »[ii].

En réfléchissant un tout petit peu encore, très récemment un ricochet supplémentaire : « François Hollande (qui) avait reçu une volée de bois vert pour avoir choisi une Marianne inspirée d’une Femen sur un timbre »[iii], et le site web du Figaro, de rajouter que les épisodes polémiques rappellent qu’aucune loi n’encadre nos symboles républicains, nés, comme d’autres, de la coutume et des soubresauts de l’histoire.

Une Marianne qui a été affaiblie dès 1799 sous l’Empire, puis avec  la Restauration ; une Marianne combattive avec la Commune et de retour dans la Troisième République. « Durant cette troisième République La  » mariannolâtrie » permit aux femmes de bénéficier de quelques avancées civiles, notamment dans les domaines de l’instruction, du droit du travail et de l’accès aux professions, même si en terme juridique, le Code Napoléon pesait de tout son poids contre l’émancipation juridique des femmes »[iv]. Puis une Marianne qui entre régulièrement dans les bâtiments officiels, et les écoles au XX ème siècle…

Tout savoir sur l’effigie

Marianne, cette effigie si marquée et marquante, aurait-elle du mal de nos jours à retrouver sa place dans notre société qui globalise l’histoire de l’hexagone dans les manuels scolaires ? La question peut être posée, et il serait à nouveau bénéfique que collégiens et lycéens maîtrisent mieux la République et sa représentation. Voilà pourquoi, ceux qui prétendent transmettre l’Histoire dans l’enseignement ne devraient pas en fabriquer une toute autre…A moins que notre symbole républicain n’ait souffert d’un vieillissement accéléré par nos « politiciens adorés » plus axés sur leur propre communication et leur nombrilisme que sur l’image symbole de notre Allégorie. Ce qui aurait sans doute contribué à mieux respecter notre pays…Il est intéressant de se demander pourquoi outre-Atlantique, les américains « Quand ils pensent à la France, … imaginent la baguette, le vin, et un pays d’amour »[v] . Chez nous, lorsqu’on pense aux Etats-Unis, c’est la Statue de la Liberté ou l’Oncle Sam –même si l’expression est devenue désuète- qui vient à l’esprit…

Alors serait-il outrageux de dire qu’à notre époque, Marianne est finalement en filigrane de notre République et de la France ?

Il y a deux ans, en mai 2014, disparaissait Maurice Agulhon, sans doute le meilleur spécialiste de notre allégorie. Ses écrits sur Marianne, sous forme d’une trilogie font références (« Marianne au combat, 1789-1880 » ; « Marianne au pouvoir 1880-1914 » ; « Métamorphoses de Marianne de 1914 à nos jours »). L’auteur a découvert par ailleurs à la Bibliothèque nationale, le plus ancien texte dans lequel le prénom de Marianne figurait en tant que France républicaine. Il s’agit d’une chanson « La guérison de Marianne » signée Guillaume Lavabre ou des allusions à des opérations militaires de l’automne 1792 sont citées. Marianne, un prénom courant à l’époque, commun, souvent « associée à des filles de mœurs légères »[vi] !

Ce symbole est féminin, mais aurait-il pu en être autrement ?  L’historien Maurice Agulhon déclare : «…depuis l’Antiquité classique, notre culture éprouve le besoin de représenter les abstractions sous une forme anthropomorphique. Plus précisément, ce qui s’énonce grammaticalement au féminin, se représente visuellement sous une forme féminine. Il n’y a pas que la République qui soit femme, il y a aussi la Liberté, l’Industrie, la Loi, la Justice »[vii]. Dans ces propos tenus dans la revue d’ethnologie de l’Europe « Terrain », Maurice Agulhon n’oublie pas de signaler que « …cette façon de représenter l’Etat ou la Nation par un être de forme humaine n’a pas été inventée par la Révolution française… La représentation de l’Etat par une image du Roi étant par définition devenue impossible, il fallait qu’il le soit par l’image allégorique de la République abstraite…Il fallait non seulement représenter la République par une femme mais aussi l’aimer, avoir des sentiments pour elle et presque croire en sa réalité. Les partisans de la République l’ont perçue comme une sorte de déesse ou d’héroïne, entité à la fois humaine et surhumaine, capable d’exciter des passions positives ou négatives ».



[i] Lettre de Marianne aux républicains / par Clovis Hugues, Éditeur de Clappier (Marseille)/Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, 16-Lb57-2040

[ii] Marc Abélès et Maurice Agulhon, « Marianne dévoilée », mag en ligne Terrain n°15, octobre 1990, mis en ligne le 12 avril 2005

[iii] http://www.lefigaro.fr/politique/2014/08/04/01002-20140804ARTFIG00002-les-emblemes-de-la-republique-sacres-mais-sans-existence-legale.php

[iv] http://www.thucydide.com

[v] Lydia Vollmann « Face à face avec Marianne:La France envisagée au féminin »,Thesis, French Departmental Honors Project Submitted April 27, 2006 ; p.27

[vi] François Colodiet « La République et sa représentation », paru dans L’Ecole des Lettres N°5, Ecole Alsacienne 2003.

[vii] Op.cit, Marc Abélès et Maurice Agulhon, p.91-101

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