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Djibouti : les infidélités à l’international d’Ismaïl Omar Guelleh

Reconduit au pouvoir pour un quatrième mandat consécutif en avril dernier, Ismaïl Omar Guelleh poursuit sa politique complaisante à l’égard des grandes puissances internationales, quitte à délaisser sa population et même ses anciens partenaires.

« IOG », qui dirige le petit Etat de Djibouti d’une main de fer depuis 1999, avait promis que son troisième mandat serait le dernier. Mais il a finalement changé d’avis et tiré profit d’une réforme constitutionnelle, adoptée à sa demande en 2010 et supprimant la limite du nombre de mandats présidentiels. Ainsi, ayant obtenu 86,68 % des voix lors de l’élection présidentielle d’avril 2016, il est sans surprise élu dès le premier tour pour un quatrième mandat consécutif.

Les Djiboutiens étaient pourtant prévenus : ils savent qu’ils ne doivent pas faire confiance à leur président. Dans ce pays de la Corne de l’Afrique, 70 % des habitants vivent en dessous du seuil d’extrême pauvreté. Ils n’ont aucun accès aux soins de santé et la faim est endémique. Selon les déclarations de la représentante de l’ONU dans le pays, la situation dans laquelle se trouve la population djiboutienne est « abjecte ». Et c’est d’autant plus scandaleux que le pays affiche une croissance économique insolente : 6,7 % en 2015 contre 6 % en 2014. Selon les experts internationaux, elle pourrait s’établir à 7,4 % en 2016.

Intérêts financiers

Mais le peuple djiboutien n’est pas la seule victime des changements d’avis soudains du président. A Djibouti, la croissance dépend presque exclusivement des activités portuaires, de la présence militaire étrangère et des financements internationaux. L’agriculture y est en effet inexistante et l’industrie très limitée, ce qui explique la faible participation des Djiboutiens à la croissance économique. Le pays dispose en revanche d’un positionnement géographique sans équivalent. Idéalement situé à la jonction du golfe d’Aden et la mer Rouge, où transite 40 % du trafic maritime mondial, il a réussi à s’imposer comme un passage commercial et militaire incontournable du paysage international.

Djibouti est par ailleurs devenu l’une des principales bases d’entraînement des armées étrangères. On y trouve des Américains, des Japonais, des Italiens, des Chinois et même des Saoudiens, l’emplacement géographique du pays étant également stratégique sur le plan mondial pour la lutte contre le terrorisme et la piraterie. La location des bases militaires est l’une des principales sources de revenus du pays, qui sait tirer profit des conflits armés opposant ses voisins et des intérêts géostratégiques des puissances étrangères.

Ainsi, le complexe portuaire de Doraleh, situé à une dizaine de kilomètres de la capitale, a été lancé en 2006 avec le soutien de Dubaï. Ce choix de l’Etat djiboutien a paru surprenant en raison de ses relations privilégiées avec la France – ancienne métropole et partenaire depuis des décennies. Mais Djibouti a toujours eu un œil tourné vers les pays du Golfe, et le partenariat traditionnel avec la France a finalement eu peu de poids face aux ambitions portuaires de Dubaï et sa solidité financière. La manne émiratie était à l’époque une bénédiction pour Djibouti, même si des voix ont dénoncé la mainmise croissante de Dubaï sur le pays. Outre les ports, les Emirats ont également hérité de la gestion de l’aéroport d’Ambouli et le total de leurs investissements équivaut peu ou prou au PIB djiboutien.

Changements d’humeur

Toujours est-il que depuis la construction du complexe de Doraleh, le gouvernement djiboutien a tendance à dédaigner les projets de petite ampleur appuyés par les bailleurs occidentaux, qui sont pourtant ses alliés traditionnels. Il privilégie des projets de plus grande envergure supportés par des investisseurs issus de pays émergents, au risque de devoir céder des infrastructures stratégiques sur lesquelles tout pays devrait pouvoir compter.

Début 2016, la Chine a installé sa première base militaire à l’étranger, plus précisément à Djibouti. Cette base devrait officiellement être utilisée dans la lutte contre la piraterie, mais elle aura surtout pour fonction de sécuriser la nouvelle « route de la soie » maritime et de permettre à Pékin d’accomplir un pas important vers son objectif de devenir une puissance maritime internationale. Or, afin de construire la base chinoise, les Américains ont notamment été invités à libérer les infrastructures qu’ils occupaient depuis des décennies à Obock, au nord de la capitale. De nombreuses personnalités politiques se sont alarmées disant que les intérêts américains dans la région pourraient être compromis par la présence croissante et « inquiétante » de la Chine. Des protestations qui ne semblent pas avoir ému Ismail Omar Guelleh.

Les Américains n’étaient peut-être pas habitués à ces infidélités. Or, comme les Français et les Doubaïotes, ils devront comprendre que le président djiboutien n’attire les puissances que pour mieux les chasser ensuite. Ses changements d’humeur sont connus de tous ses partenaires, mais surtout de son peuple qui, confronté à un appareil sécuritaire étouffant toute velléité de contestation, doit continuer à digérer ses fausses promesses.

 

Crédits photo : Getty Image

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