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La contrebande financerait le terrorisme en Europe « depuis 20 ou 30 ans »

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Un récent documentaire diffusé sur la chaine allemande ARD a révélé l’importance des réseaux de contrebande dans le financement du terrorisme en Europe. En plein essor, le commerce illégal de cigarettes constitue une des filières les plus lucratives, profitant de la trop lente prise de conscience des autorités européennes.

Deux ans avant de prendre en otage la rédaction de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, Chérif Kouachi n’était encore qu’un simple marchand clandestin de tennis Nike comme il en existe tant sur les marchés du nord de Paris. En vendant ses contrefaçons deux à trois fois moins cher que le prix d’achat, le petit délinquant aurait néanmoins accumulé entre 30 000 et 40 000 euros de gains en l’espace de quatre ans. C’est grâce à cet argent qu’il a pu se rendre à Oman et au Yémen pour rencontrer des responsables d’Al-Qaida et acheter l’arsenal qui lui a servi à abattre 12 personnes dans les locaux du journal satirique, affirme Jean-Charles Brisard, président du Centre d’analyse du terrorisme (CAT), dans une enquête édifiante diffusée le 24 août sur la chaine allemande ARD.

« Quand on analyse les attaques et projets d’attaques de ces dernières années en Europe, alors nous devons reconnaître que les attaquants se financent eux-mêmes depuis 20 ou 30 ans, confie l’expert en terrorisme. Ils ont souvent gagné leur argent de la contrebande et de la contrefaçon de produits. […] C’est tellement facile et hyper profitable. Ils peuvent atteindre des marges de cinq à dix fois la mise de départ. » Pas étonnant, donc, que « 95 % des auteurs des attaques terroristes les plus récentes en Europe avaient de l’expérience en tant que petits criminels », comme le prétend Louise Shelley, experte américaine du terrorisme.

« La contrefaçon est au centre du financement du terrorisme »

Selon l’association de lutte contre la contrefaçon Unifab, l’équivalent de 85 millions d’euros de produits contrefaits atterrirait en Europe chaque année. Rien qu’en Allemagne, le total des dommages causés par la contrefaçon s’élèverait à 56 milliards d’euros, d’après une étude du cabinet EY citée dans un récent article du quotidien économique allemand Handelsblatt. Pour Phillipe Coen, vice-président d’Unifab, cette manne est indispensable pour financer les actions des réseaux terroristes. « À la suite de cette année horrifiante de terrorisme en Europe, nous devons tourner notre regard vers le financement du terrorisme, analyse-t-il. Sans financement, il n’y aura aucune attaque. Après avoir réalisé ses investigations et recherches, Unifab a déterminé que la contrefaçon est au centre du financement du terrorisme. »

Même son de cloche du côté de Jochen Schäfer, conseiller légal de la Fédération mondiale de l’industrie des biens sportifs (WFSGI), qui tente de lutter contre ce fléau particulièrement répandu dans le textile. « Il est prouvé que les organisations terroristes utilisent la contrefaçon comme instrument de financement, affirme-t-il. Nous essayons d’intervenir aussi tôt que possible avant que les biens ne soient physiquement envoyés. Avec l’aide d’un partenaire italien qui possède les logiciels, nous avons fermé plus de 160 000 pages Internet. »

Les terroristes, grands trafiquants de cigarettes

Parmi les produits générant le plus de contrebande, les cigarettes s’avèrent très prisées des organisations terroristes, souligne le documentaire. Moins risqué que le trafic de la drogue mais très lucratif, le commerce illégal de cigarettes représenterait plus de 20 % de leurs sources de financement, d’après un rapport du CAT publié en 2015. « Près de 15 organisations terroristes dans le monde recourent régulièrement et dans des proportions importantes à la contrebande et à la contrefaçon de cigarettes pour se financer », précise le document, qui cite notamment Al-Qaïda, le Hezbollah, le Hamas, les Talibans pakistanais, ETA et l’IRA. Mokhtar Belmokhtar, le leader d’AQMI, serait ainsi connu dans le milieu comme « Mister Marlboro ». Amédy Coulibaly, le terroriste de l’Hyper Cacher et de Montrouge, était lui aussi impliqué dans un trafic de cigarettes. En 2010, la police a saisi deux cartons de cartouches dans un box qu’il avait loué avec un complice.

En Allemagne, la police a récemment mis au jour un important trafic avec Dubaï, qui alimente l’Europe de plusieurs tonnes de cigarettes de contrefaçon chaque année. Le 11 février 2016, les forces de l’ordre allemandes ont saisi un container de 7 millions de cigarettes dans un local commercial proche de Berlin, pour un montant de 750 000 euros. Une des personnes arrêtées, un Palestinien né en Syrie et détenteur d’un passeport allemand, a confié que le trafic avec Dubaï « durait depuis longtemps » et que les responsables, qui lui envoyaient quatre containers par mois, « en tiraient des millions d’euros ». Bien que « le principal coupable fût en contact avec un membre potentiellement dangereux de l’État Islamique en Allemagne », les autorités allemandes continuent de nier tout lien avec le terrorisme, constate l’enquêteur d’ARD.

Les autorités sourdes aux signaux d’alarme des douaniers

Fin juillet, la police espagnole a, elle, rendu public que plusieurs personnes récemment arrêtées pour contrefaçon avaient été « identifiées sur des listes de combattants terroristes ». Pourtant, en raison du caractère mineur de ces petits délits très répandus au quotidien, les autorités européennes tardent toujours à prendre conscience de l’ampleur de la menace. Cité dans l’enquête diffusée sur la chaîne allemande, un des informateurs s’avoue « horrifié par le peu d’action des agences européennes pour contrer le marché noir ». Avec l’instauration du paquet neutre en France, et peut-être dans d’autres pays à l’avenir, la contrefaçon risque d’être encore davantage facilitée. Une véritable aubaine pour les terroristes.

Si les gouvernements continuent de se voiler la face sur les enjeux de la contrebande, les douaniers allemands, eux, tirent la sonnette d’alarme. Le 31 août, le bureau des douanes de Neuss organise un événement intitulé « Trafiquant de cigarettes la nuit – Terroriste le jour » à Essen, où 10,5 millions de cigarettes issues de la contrebande seront détruites devant les médias. « En faisant cela, on va mettre l’accent sur le lien entre terrorisme et soutien au crime organisé via les acheteurs de cigarettes illégales », ont indiqué les douaniers allemands. Avec au moins cinq attaques meurtrières depuis un an, l’Allemagne est un des pays européens les plus touchés par le terrorisme avec la France, la Belgique et la Turquie.

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