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Marianne dans la panade (partie 2) – Quelle est la signification de l’allégorie en tant que terme ?

« L’allégorie est un discours qui veut dire une chose au sens propre tout en présentant l’idée d’une autre en vertu, la plupart du temps, d’une similitude »[i].

Dans le Mémoire d’Abdelhamid Bouchnak, on peut lire au sujet de l’allégorie que « Les révolutionnaires français concrétisent ces idées abstraites afin de faciliter au peuple l’assimilation de leurs intentions et de leur idéologie. Ainsi l’allégorie peut présenter deux vertus différentes – la figuration d’idées abstraites ou le cryptage d’idées subversives – et deux usages opposés, propagandistes ou critique »[ii]. Et de mettre en avant l’exemple suivant : O vèrtu, es tu moins nécessaire pour fonder une république, que pour la gouverner dans la paix ? (Robespierre, Discours sur les principes du gouvernement révolutionnaire, 25 décembre 1789).

Du côté de l’Assemblée Nationale ou des dizaines de bustes de Marianne sont exposées, quelques lignes explicites sur notre « Superwoman » de la liberté, de l’égalité et de la fraternité indiquent : « C’est la Convention, en 1792, qui a décidé de représenter la République sous les traits d’une femme coiffée du bonnet phrygien, emblème de la Liberté…La coutume d’installer un buste de Marianne dans les mairies remonte aux premières années de la Troisième République. Mais en 1871, pour donner du nouveau régime une image plus sage, le président Adolphe Thiers a interdit la représentation du bonnet révolutionnaire, considéré comme un « emblème séditieux ». C’est pourquoi les plus anciennes Mariannes de mairie sont simplement coiffées d’une couronne végétale composée d’épis de blé, de feuilles de chêne ou de rameaux d’olivier, parfois surmontée de l’étoile, symbole des Lumières. Le bonnet phrygien ne réapparaîtra qu’en 1879. Il n’y a jamais eu de buste officiel de la République. Chaque sculpteur est libre de représenter Marianne à sa façon et chaque maire est libre de choisir son modèle. Ainsi s’explique l’extraordinaire diversité des bustes de mairie..,la mode a voulu qu’on donne à Marianne les traits d’artistes célèbres, mais elle a eu bien d’autres visages, aimables ou sévères…Au XIXe siècle, Marianne a fait l’objet d’une véritable dévotion populaire. On trouvait dans le commerce quantité de petits bustes en bronze ou en plâtre qui prenaient place chez les républicains fervents, à l’instar du crucifix ou de la statuette religieuse dans les foyers catholiques. Cette production à usage domestique a totalement disparu…»[iii].

Ainsi, Marianne a pris des allures de « Rubikub » au fil du temps, et cela pourrait justifier une sorte de kaléidoscope imagé pour cette représentation. Marianne s’est aussi vue « peopolisée » -pour reprendre un terme si actuel- à partir de 1969. En effet, à cette époque le sculpteur Aslan créé une Marianne non-anonyme, sous les traits de la jeune Brigitte Bardot auréolée de succès et de scandales. Le buste de l’actrice « mariannisée » entre dans les mairies de centaines de municipalités, là où d’autres le refusent pour ne pas confondre les valeurs universelles de la République avec les mœurs de la starlette des films de Vadim. Aslan, dix ans plus tard, prend un virage à 360 degrés et sculpte une Marianne tellement plus lisse avec Mireille Mathieu pour modèle. La demoiselle d’Avignon a dans l’esprit du public une image de sainte ! Marianne, starisée, continue à faire parler d’elle avec d’autres sculpteurs tels Polska (Catherine Deneuve) ; Potel (Michèle Morgan) ; Deville-Chabrolle (Laetitia Casta) ; Inès de la Fressange lors du bicentenaire de la révolution française ;

Marianne, représentée tant et tant de fois dans la presse, porteuse de messages, ou critique d’elle-même, venant régulièrement s’adresser au peuple sous les traits des Daumier, Caran d’Ache, Faisant, Effel, Plantu, etc …

 « Dans la presse satirique, qui naît véritablement avec Philipon et Daumier en 1830, Marianne a mille attitudes, porte en elle mille sentiments. Héroïne des barricades, elle offre son poitrail à ses adversaires qui tentent de la renverser ou de la faire disparaître dans les caveaux de l’histoire. Elle cristallise les aspirations de larges couches sociales mais reflète aussi parfois les dissensions au sommet du pouvoir. Marianne demeure la figure la plus représentée de la caricature… Notons tout de même que l’allégorie de la République envahit littéralement la presse lorsque cette presse se fait vaillante, lorsque les crises sociales sont à leur apogée ou quand la censure faiblit. C’est sous la Troisième République que Marianne sera le plus abondamment représentée et caricaturée… Marianne jouit de mille destins. Elle cristallise tous les affrontements idéologiques, s’adapte, tel un caméléon à toutes les sensibilités. Coiffée d’une couronne d’épis, elle sera conservatrice ; associée au bonnet phrygien elle portera une vision plus radicale, voire révolutionnaire. Tenant dans la main un drapeau rouge voilà la Commune de Paris ou la fière anarchiste de la Belle Epoque. Armée de son glaive, d’un fouet ou d’un fusil, elle symbolisera la lutte émancipatrice, égérie quasi « féministe » à la fin du XIXe siècle, dans un monde pourtant dominé par les hommes »[iv].



[i] B.G Teubner, « Tryphon, Traitée des Tropes » t.III,p.193 ;éd. Spengel 1856.

[ii] Abdelhamid Bouchnack, « L’allégorie comme discours politique dans Underground d’Emir Kusturica », Mémoire présenté à l’Université de Montréal, département Histoire de l’Art, juin 2010

[iii] http://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/patrimoine

[iv] http://www.caricaturesetcaricature.com/article-22366894.html

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