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La « malédiction des ressources naturelles » frappe en Guinée

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Régulièrement accusée de faire baisser les cours mondiaux de l’aluminium, en raison d’une surproduction et d’une demande intérieure déclinante, la Chine est pointée du doigt pour les conséquences environnementales de l’extraction de la bauxite, minerai à l’origine du métal. 

En Guinée, l’engouement pour la bauxite ne se dément pas. Les réserves sont énormes et c’est donc tout naturellement que le gouvernement y voit un levier de croissance incontournable. Et il faut dire que le pays en a besoin. En 2015, le virus Ebola a mené la Guinée à une crise sanitaire et économique particulièrement grave. Selon la Banque mondiale, les pertes liées au virus représentent ente 0,7 et 2,3 points de PIB durant la période 2014-2015.

Les institutions financières internationales envisagent cependant l’avenir économique du pays avec un certain optimisme. Le FMI table sur une croissance à 5,2 % en 2016, grâce notamment aux chocs positifs de l’offre dans les secteurs minier, agricole et de l’énergie. Cependant, Abdoul Aziz Wane, chef de mission du FMI, signale que le rythme de la reprise économique est inégal et que « l’activité dans le secteur manufacturier et celui des services, qui sont en général sources des emplois les plus rémunérateurs, reprend à un rythme beaucoup plus lent ».

« Investissements importants »

C’est tout le paradoxe guinéen, un pays aux richesses naturelles exceptionnelles qui affiche pourtant des indicateurs économiques et sociaux affligeants. Quelque 55 % de la population guinéenne vivait dans la pauvreté en 2012, et la Banque mondiale estime que « ces taux ont certainement augmenté en 2014 et 2015 en raison de la crise Ebola et de la mauvaise situation économique ». Le pays possède des richesses hydrographiques immenses et son sous-sol regorge de matières premières : bauxite, or, diamant, manganèse, zinc, cobalt, nickel, uranium… Autant de ressources qui en font un des pays à plus grand potentiel de développement industriel en Afrique de l’Ouest. Et pourtant, il se place à la 178e place sur 187 pays, selon l’indice de développement humain calculé par le PNUD en 2012.

La Guinée serait-elle le meilleur exemple de ce que les économistes appellent « la malédiction des ressources naturelles » ? Ce qui est sûr, c’est qu’en continuant de miser sur la bauxite pour soutenir la croissance, le pays prend le risque de donner raison aux experts qui, depuis les années 1990, remarquent que les pays à forte dotation en ressources naturelles ont en moyenne une croissance de long terme plus faible que les pays qui n’en disposent pas.

Avec 25 milliards de tonnes de bauxite dans son sous-sol, la Guinée dispose des deux tiers des réserves mondiales du minerai. Et le gouvernement entend bien en profiter. Il aspire à « porter son exportation de 17 millions de tonnes par an à près de 40 millions d’ici à 2024 », selon les déclarations du ministre des Mines et de la Géologie, Kerfalla Yansané. Le gouvernement, qui s’attend à « des investissements importants » dans le secteur, peut d’ores et déjà se féliciter d’un accord de financement qui devrait permettre à la Compagnie des bauxites de Guinée (CBG) d’augmenter sa production de 13,5 millions à 27 millions de tonnes par an en 2022.

« La Chine détruit lentement l’industrie de l’aluminium »

Mais, est-ce la bonne stratégie ? Jusqu’ici épargné par la crise touchant la quasi-totalité des minerais, le prix de la bauxite commence à baisser. C’est la conséquence inévitable de la baisse continue des cours de l’aluminium, dont la bauxite constitue le minerai de base. Un peu partout dans le monde, d’importantes usines d’aluminium ont été fermées en 2015, et le phénomène pourrait se prolonger.

En cause : la surproduction chinoise. L’Empire du Milieu est à la fois le plus gros producteur et consommateur mondial d’aluminium. Mais la demande intérieure ne progresse pas à la même vitesse que la production ; résultat : Pékin connait aujourd’hui des problèmes de surcapacité qu’elle peine à résoudre. Pour Gerd Götz, directeur général d’European Aluminium, « la Chine détruit lentement l’industrie de l’aluminium », et des pays comme la Guinée et le Cameroun, qui croyaient voir en elle un client durable, pourraient en faire également les frais.

L’Indonésie et la Malaisie en savent quelque chose. Premier exportateur de bauxite en 2014, l’Indonésie a dû suspendre les exportations de minerais bruts pour obliger les groupes miniers à les transformer sur place. La Chine s’est alors tournée vers la Malaisie, qui est rapidement devenue le premier fournisseur de bauxite pour les industriels chinois. La production y a augmenté de 600 % entre 2014 et 2015, mais les conséquences sur l’environnement ont été désastreuses. Des métaux lourds cancérigènes ont été rejetés autour des mines et probablement dans le système d’approvisionnement d’eau et la chaîne alimentaire. Le gouvernement malaisien n’a pas eu d’autre choix que de suspendre à son tour l’exploitation de la bauxite.

La Guinée va-t-elle s’engager sur cette même voie ? Les mêmes causes engendrant les mêmes effets, l’issue ne serait pas difficile à prévoir. Pékin pourrait entraîner le pays dans l’incertitude, au mieux, dans la catastrophe économique et environnementale, au pire. Et la Guinée pourrait ajouter une page à sa longue histoire de rêves de développement déçus malgré (ou à cause de) ses richesses naturelles démesurées.

 

 

Crédits photo : Conakry time

 
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