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RDC : cabale judiciaire contre Moïse Katumbi, figure de proue de l’opposition

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Samedi 15 juillet, à Paris, le d’ordinaire très tranquille quartier de l’Opéra s’embrase. Plusieurs rues sont le théâtre de scènes d’émeutes. De la fumée noire s’échappe d’une voiture incendiée tandis que d’autres manifestants s’en prennent à des poubelles. La raison de la colère de ces dizaines de manifestants ? La venue d’Héritier Watanabe, musicien congolais réputé proche de Joseph Kabila. Une sympathie qui suffit à mettre le feu aux poudres pour une diaspora congolaise qui désespère de voir la démocratie survivre aux assauts présidentiels, essentiellement concentrés sur le principal opposant : Moïse Katumbi.

 

La préfecture de Police de Paris, dans un communiqué, a rendu compte d’une situation peu habituelle aux alentours de la célèbre salle parisienne de l’Olympia : « Les opposants au régime congolais, mobilisés pour empêcher la tenue d’un concert d’Héritier Watanabe, et tenus à distance de la salle de l’Olympia, se sont livrés, un peu avant 17h00, à des débordements en particulier vers la place de l’Opéra ». L’hostilité des manifestants s’est soldée par la dégradation de mobilier urbain et l’interpellation de trois personnes. Le spectacle prévu le soir a finalement été annulé, pour la plus grande joie d’une diaspora congolaise vent debout contre la venue à Paris d’un artiste réputé proche du pouvoir.

 

Des élections reportées sine die

 

Ces ressortissants congolais ne décolèrent pas de voir leur pays s’enfoncer dans une dangereuse incertitude politique. La Commission électorale nationale indépendante (Céni) a annoncé, le 7 juillet dernier, que les prochaines élections présidentielles, législatives et locales ne pourraient pas se tenir en 2017 contrairement à ce que prévoient les accords du 31 décembre 2016. L’espoir d’une remise sur les rails du processus démocratique a donc été douché par un président de la Céni, Corneille Nangaa, qui explique que l’organisation sereine des élections n’est « pas possible […] dans les conditions fixées par l’accord » de la Saint-Sylvestre.

 

Un processus électoral encore une fois reporté sans autre forme de procès : « le Conseil national de suivi de l’accord et du processus électoral, le gouvernement et la Céni peuvent unanimement apprécier le temps nécessaire pour le parachèvement desdites élections ».

 

L’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le principal parti d’opposition, a qualifié cette nouvelle de « provocation ». Pour lui, « Corneille Nangaa est en train d’aider Joseph Kabila a atteindre son plan de s’éterniser au pouvoir. » Le mandat de Kabila s’est en effet achevé le 20 décembre 2016. Depuis, la situation politique se tend et plusieurs indicateurs tendent à démontrer que le président, en poste depuis l’assassinat de son père en 2001, n’entend pas passer la main, malgré l’impossibilité constitutionnelle de briguer un troisième mandat.

Moïse Katumbi, principal opposant persécuté par le pouvoir

L’opposition est mise sous étroite surveillance, et sa principale figure, Moïse Katumbi, est victime de pressions incessantes. Fin juin, le procureur général de la République a retiré « l’autorisation qui lui avait été accordée le 20 mai 2016 » de se rendre à l’étranger en conséquence de sa « requête en expatriation pour des raisons de soins médicaux en Afrique du Sud ». Autrement dit, Moïse Katumbi est sommé de se rendre en République démocratique du Congo afin d’y affronter une justice dont le degré d’indépendance et d’impartialité laisse à désirer.

Pourquoi Moïse Katumbi est-il inquiété par la justice de son pays ? On lui reproche d’avoir fait usage de faux pour l’acquisition d’un immeuble. L’ancien gouverneur de la région du Katanga a écopé de trois ans de prison en première instance et a décidé de faire appel. Et pour cause : selon l’avocat de Moïse Katumbi, maître Eric Dupond-Moretti, qui confesse n’avoir “aucune confiance en la justice” de RDC, la juge à l’origine du premier jugement, aujourd’hui réfugiée en France, aurait rendu son verdict sous la menace d’une arme.

Ces intimidations à l’encontre de la justice sont monnaie courante, particulièrement lorsqu’il s’agit de l’inciter à entraver la marche d’un opposant que le pouvoir estime dangereux. Dans la nuit du 18 au 19 juillet, quelques heures avant l’ouverture du procès en appel de Moïse Katumbi à Lubumbashi, l’un des trois juges devant se prononcer sur ce dossier, connu pour son indépendance vis-à-vis du pouvoir, a été victime d’une agression par arme à feu. Transféré en urgence à l’hôpital, son pronostic vital est engagé. Sa femme a quant à elle été violée par les agresseurs…

Qualifié de “règlement de comptes purement politique” par une commission portant sur la décrispation politique en RDC, le procès de Moïse Katumbi devrait s’achever devant la Cour constitutionnelle. Après avoir soulevé deux exceptions (l’une sur la saisine du tribunal, l’autre récusant les juges), toutes deux rejetées, la défense a tenté, également en vain, de faire valoir un pourvoi en cassation. Avant d’abattre une autre carte : “ le recours d’exception d’inconstitutionnalité contre la décision du tribunal de continuer le procès avec des juges récusés », explique pour Jeune Afrique Me Barthelemy Mumba Gama, l’un des avocats de Moïse Katumbi. Un recours accepté par les juges d’appel, qui ont renvoyé l’affaire devant la Cour constitutionnelle de Kinshasa.

Pas décidé à se laisser intimider, le premier opposant à Joseph Kabila a par ailleurs décidé de contre-attaquer le 1er juillet dernier en saisissant le Comité des droits de l’Homme des Nations unies. L’avocat du candidat à l’élection présidentielle – si elle a lieu – a déclaré que le pouvoir congolais a mis en place délibérément, pour écarter Moïse Katumbi du processus démocratique, des affaires “bidons”. La procédure sera longue et complexe, mais permettra au moins, selon les défenseurs de Moïse Katumbi, de mettre un peu plus en lumière les ressorts qui gouvernent la stratégie du clan Kabila en RDC.

Selon Maître Dupont-Moretti, le pouvoir en place a pour volonté “d’éliminer judiciairement” Moïse Katumbi afin de l’écarter d’un processus électoral dont le lancement apparaît par ailleurs de moins en moins certain. Reste que l’homme fort de l’opposition a bel et bien l’intention de regagner son pays, une fois les conditions de sa sécurité garanties, afin de se présenter à une élection à laquelle il fait figure de grand favori, en dépit des obstacles posés sur sa route.

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