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De Anouar Al Sadate à Moushira Khattab, l’Égypte porte un message de paix et d’espérance

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Trente-six ans déjà ! Et pourtant… les événements ne cessent de prouver jour après jour que ce 6 octobre 1981 aura, à jamais, changé la face du monde. Ce jour-là, Anouar Al Sadate est tombé sous les balles de la haine pour avoir grand ouvert les portes de la paix avec Israël. Les innocents continuent de payer partout dans le monde un lourd tribut à l’obscurantisme, au fanatisme et au terrorisme.

Avec Sadate, sa vision, son héritage, je souhaiterais émettre un message d’espoir infini. Faisons-nous l’écho de sa voix. Rien n’est impossible. La haine n’est et ne doit jamais être la monnaie d’échange entre les peuples. Sadate l’a prouvé et l’a, hélas, chèrement payé. Je ne saurais imaginer ce que serait devenu notre monde sans sa visite historique à Jérusalem, sans son appel à la fraternité, à la paix et à l’entente.

L’Égypte était alors porteuse d’un message d’espoir et le pays présente aujourd’hui au monde l’une de ses femmes, enracinée dans l’Afrique, dans le monde arabe, dans le monde musulman et dans l’universalité des valeurs humaines. Serait-ce un défi plus grand que celui qu’a affronté Sadate ? Sadate a défié la haine, la peur de l’autre et a fait face aux préjugés les plus tenaces et indéracinables, donnant l’occasion aux voix de la paix de s’exprimer. Celle d’Itzhak Rabbin quelques années plus tard s’est également tue. Mais les haineux ignorent que les voix des hommes de courage et de paix ne disparaissent jamais. Leur écho reste à jamais audible.

De combien de Sadate avons-nous besoin aujourd’hui, de combien d’esprits aussi éclairés et visionnaires avons-nous besoin aujourd’hui ?

 

Je prends ma plume, trente-six ans après cette douloureuse épreuve, à l’occasion du vote qui doit avoir lieu pour désigner la personne qui devra assurer la direction de l’UNESCO pour les années à venir. J’en profite pour dire que cette Vallée du Nil qui a donné naissance à Anouar Al Sadate présente une candidate venue de la même terre, de la même région du monde, celle-là même qui n’a jamais eu l’opportunité d’occuper une telle position. Voilà soixante-quinze ans que l’UNESCO existe et voilà qu’aucun candidat arabe n’a eu l’occasion d’en assurer la direction. Oubli ou erreur, telle n’est pas la question.

Je ne retracerai pas la longue et riche carrière de Moushira Khattab. Je souhaiterais uniquement dire que cette femme musulmane, éclairée et courageuse porte en elle un héritage exceptionnel. Un héritage prêt à répondre à tous les défis de l’UNESCO. Oui, permettez-moi d’affirmer haut et fort que l’UNESCO, plus que jamais, doit assurer un rôle que ni la diplomatie, ni les armes ne peuvent remplir.

Formée à l’école d’Anouar Al Sadate, de Nelson Mandela, de Vaclav Havel et de Boutros Ghali, Moushira Khattab a mené une brillante carrière diplomatique entre Le Caire, l’Afrique du Sud l’Australie, la Hongrie, l’Autriche et la Tchécoslovaquie puis, suite à la séparation des deux États, la République tchèque et la Slovaquie. Elle a ensuite assuré au sein du gouvernement de son pays l’une des tâches les plus difficiles, à savoir celle de ministre de la Famille et de la population dans un pays de plus de 90 millions d’habitants. À chaque étape de sa carrière, elle a brisé des préjugés et des tabous, faisant preuve d’un rare courage. Première ambassadrice d’Égypte en Afrique du Sud, elle a été très proche de Nelson Mandela et a été fortement imprégnée de sa sagesse et de ses idées.

Aucun préjugé n’a résisté à la ferme volonté et au courage remarquable de Moushira Khattab. Femme musulmane, elle ne cesse d’affirmer qu’elle est l’héritière de cette terre d’Égypte qui s’est imprégnée de Judaïsme, de Christianisme et d’Islam. Elle affirme également son héritage culturel pharaonique, grec et romain. Elle revendique ce croisement de religions, d’origines, de pensées, de cultures qui font d’elle une femme dont l’identité universaliste ne fait aucun doute. Aussi s’est-elle toujours fermement opposée à toutes sortes de racisme, d’antisémitisme, de discrimination quelles qu’en soient les manifestations.

Les énormes défis culturels et sociaux auxquels a été confrontée Moushira Khattab reflètent les maux de notre époque, notamment ceux liés à une grande partie de notre monde et ceux qui sont malheureusement le véritable terreau de l’obscurantisme et du fanatisme. D’un courage à toute épreuve, elle a mené en Égypte des réformes historiques en faveur des droits de l’homme dans toute leur diversité. Ces réformes ont entre autres concerné les femmes, les enfants, les jeunes aussi bien que les droits culturels, économiques et sociaux des plus défavorisés. Elle a notamment réussi à interdire toutes formes de mutilations génitales féminines, véritable fléau socioculturel, à créer des écoles pour les jeunes filles défavorisées, à inciter les plus défavorisés à poursuivre leur éducation.

Il n’échappe à personne aujourd’hui que les multiples et complexes défis auxquels fait face l’Égypte, plus grand pays arabe, méritent une attention toute particulière. En effet, cette terre d’Égypte souffre de maux qui ont de multiples échos au-delà de ses frontières. C’est la raison pour laquelle Moushira Khattab a toujours été appelée à intervenir dans les diverses régions du monde en vue d’apporter son expertise. Plusieurs États d’Europe ont largement bénéficié de ses approches relatives aux divers cas d’excision féminine sévissant dans les communautés d’immigrés. Elle a également apporté ses compétences dans le domaine de l’immigration illégale en Europe et sur les moyens de traiter la question en favorisant à cette jeunesse désœuvrée les moyens de vivre et de se développer dans leurs pays d’origine. Moushira Khattab a, durant de très longues années, vécu au quotidien ces problèmes sociaux, sociétaux et culturels. Elle porte en elle l’expérience de terrain d’un pays aux mille facettes dont la richesse est paradoxalement accompagnée de problèmes d’une rare complexité. Tous ces problèmes ont leurs racines dans les divers domaines liés à l’UNESCO. Avec une telle expérience, Moushira Khattab va, à coup sûr, donner une autre dimension au traitement de ces questions.

Les atouts exceptionnels et remarquables de Moushira Khattab dans ses missions délicates sont une connaissance minutieuse et parfaite du terrain, un remarquable esprit de consensus et d’extraordinaires qualités communicatives. Fin diplomate, elle sait toujours trouver des compromis et établir des relations gagnant-gagnant. Ses douces et profondes réformes ont transformé la société égyptienne, notamment celle au niveau de laquelle le culte des pratiques ancestrales semblait indéracinable.

Moushira Khattab est convaincue que le dialogue et le respect inconditionnel de tous sont l’unique monnaie d’échange. Sa compétence en matière de négociation est absolument remarquable. Elle sait impliquer tous les acteurs compétents, elle sait faire d’extraordinaires levées de fonds au profit des projets qu’elle mène sans relâche. Plus que jamais, l’UNESCO a besoin d’une personne dont l’expérience ne peut que garantir son succès.

Elle incarne cette volonté d’instaurer la paix par les lumières, l’éducation, la science, la culture, l’art, le savoir, la tolérance, la protection du patrimoine humain et surtout la culture du respect inconditionnel de l’Autre. Faire taire les armes du terrorisme, de l’ignorance, de l’obscurantisme, telle est son ambition, faire taire ces armes à jamais comme Sadate en rêvait.

Férue d’humanisme et de littérature, Moushira Khattab ne cesse de répéter cette phrase mémorable de Victor Hugo : « ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons ». Ces prisons qu’elle veut à jamais fermer, sont les prisons de la pensée, de la tolérance, de l’égalité, de la liberté d’expression, de l’égalité femmes-hommes, de l’éducation des enfants, du respect et de la protection du patrimoine humain, de la justice sociale, du progrès intellectuel, de l’épanouissement de la jeunesse.

Parfaitement convaincue que l’avenir de notre monde dépendra d’une jeunesse prometteuse, Moushira Khattab a toujours été très proche des jeunes. Elle leur a consacré de très nombreux projets culturels et éducatifs.

Femme de la diversité, elle cumule en elle tout ce que nous souhaiterions voir à la tête d’une institution telle que l’UNESCO. Les qualités et compétences de Moushira Khattab sont reconnues mondialement. Nombreuses sont les décorations et distinctions qu’elle a reçues pour ses réalisations. Moushira Khattab a toujours eu l’ambition de changer pour le meilleur. Il n’a jamais été question pour elle d’assurer une fonction. Il lui fallait toujours faire un pas pour le bien de tous. Ce n’est pas un hasard que Nelson Mandela lui ait accordé l’Ordre de Bonne Espérance, la plus haute distinction qui puisse être octroyée à un ressortissant étranger. Commandeur de l’Ordre du Mérite de la République italienne, Moushira Khattab s’est vue aussi décerner le Prix international pour la femme de courage par le Département d’État américain.

Pour la première fois de son histoire, l’UNESCO donnera à cette partie du monde la chance de s’exprimer et de donner ce qu’elle a de meilleur. Je vois dans ce choix un message de paix, d’apaisement, d’espoir en des jours meilleurs. La vie de Sadate est celle d’un homme qui a su diffuser le plus beau message de paix. Ce message, ne l’oublions pas un seul instant. Ce message est un héritage que nous nous efforçons de préserver chaque jour. C’est la preuve la plus irréfutable que ce que l’on croyait inimaginable peut se réaliser avec des femmes et des hommes dont l’unique volonté est celle d’instaurer paix et entente entre les peuples. Pour les valeurs pour lesquelles sont tombés Sadate et Rabin, pour la sagesse légendaire de Nelson Mandela, pour le courage de Vaclav Havel, je vous adresse ce message de paix et d’espoir.

 

Gehane Al Sadate

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