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Ondes : Linky, portables, WiFi… le juteux business de la peur d’Alternative Santé

L’électrosensibilité, mythe ou réalité ? Selon les sources, jusqu’à 2% de la population affirmerait souffrir de cette maladie contemporaine, dont les symptômes – maux de tête, vertiges, troubles visuels ou auditifs, brûlures cutanées, etc. – sont aussi divers et variés que sa réalité remise en question. Une incertitude scientifique qui n’empêche pourtant pas certains marchands de peur de vendre tout et n’importe quoi à ce public vulnérable, en prétendant lui venir en aide dans sa croisade contre les ondes :  baldaquins anti-ondes, face shield ou séances chez des thérapeutes alternatifs… Le site Alternative Santé en sait quelque chose.

Pour les personnes attribuant leurs maux, bien réels, aux ondes électromagnétiques, le doute n’est pas permis : elles souffrent bien d’électrosensibilité, et doivent être reconnues, voire prises en charge en conséquence. Une opinion en partie validée par la justice française, le tribunal du contentieux de Toulouse ayant, en 2015, accordé à une femme une allocation adulte handicapée en raison de son invalidité attribuée à l’électrosensibilité.

La science, de son côté, est plus mesurée. Oui, dit en substance la communauté scientifique et médicale, les personnes électrosensibles souffrent. Mais non, il est n’est pas possible de lier leurs symptômes, dits « non-spécifiques », à une exposition aux champs magnétiques. En d’autres termes, ces différents maux pourraient être causés par bien d’autres affections physiques ou psychologiques.

En ce sens, les études se suivent et se ressemblent. Que ce soit en France, en Suède ou aux Etats-Unis, toutes convergent à dédouaner les ondes des effets qui leurs sont attribués par les personnes électrosensibles. Jusqu’à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui dès 2005 a déclaré que l’hypersensibilité électromagnétique « ne constitue pas un diagnostic médical » ou encore, en France, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), dont un rapport, publié en 2013, conclut, à propos des ondes électromagnétiques, à l’absence « d’effet sanitaire avéré chez l’homme ».

Si des gens souffrent, les « tableaux cliniques », c’est-à-dire la liste des symptômes, diffèrent tellement d’un « malade » à l’autre que nombre de médecins sont tentés d’y voir une somatisation, voire une condition psychiatrique.   

Le filon le l’électrosensibilité

Une « faille médicale » que certains petits malins ont bien l’intention de transformer en filon. Sans surprise, c’est sur Internet que le business de l’électrosensibilité fait florès. Et si le mal n’est pas scientifiquement démontré, ses remèdes les plus farfelus s’y échangent contre espèces sonnantes et trébuchantes.

Entre la panoplie prêt-à-porter – si l’on peut dire – renforcée au polyuréthane, les lits à baldaquin anti-ondes ou encore l’attirail complet du chasseur d’ondes en herbe, tout est fait, sur certains sites spécialisés, pour attirer les personnes sincèrement convaincues de souffrir d’électrosensibilité et convaincre les autres de la réalité d’un mal que la science se refuse pourtant à définir comme tel.

Le ridicule de certains objets censés protéger des ondes, tout comme leur prix souvent délirant, auront pourtant raison, espère-t-on, de la crédulité de la plupart des internautes à la recherche de réponses à leur souffrance. Ces derniers ne sont pourtant pas au bout de leur peine. Le business de la peur sait se faire plus pernicieux et prendre des chemins de traverse.

Alternative Santé : de la machine à fantasmes à la machine à cash

Quoi de plus normal, lorsque l’on s’estime malade, que de vouloir être rassuré ? Lors de la recherche d’informations sur l’électrosensibilité, vous tomberez peut-être, au cours de vos pérégrinations numériques, sur le site Alternative Santé. Une référence autoproclamée en matière d’ondes électromagnétiques et de thérapies « alternatives » pour s’en prémunir.

A la lecture, la spécialité des rédacteurs d’Alternative Santé semble pourtant davantage de faire paniquer leurs visiteurs que de les rassurer. Et qu’importe si la confusion règne : « médecins et scientifiques ne sont pas d’accord sur l’ampleur du phénomène » de l’électrosensibilité, entame le « spécialiste » autoproclamé Alexandre Pieroni, étudiant de son état. Pourtant, « une chose est sûre : ce dernier pose des problèmes majeurs ». Etrange argumentaire, qui consiste à introduire le doute, pour conclure à la certitude…

Pour aider le lecteur à trancher un problème sur lequel bute l’ensemble de la communauté scientifique et médicale, les rédacteurs du site Alternative Santé ne lésinent pas sur les moyens…lexicaux. Arnaud Lerch, sans doute un autre spécialiste, n’hésite ainsi pas à parler de « dictature des ondes », mettant dans le même sac la 5G, le WiFi ou le compteur communicant Linky. Les « victimes » que nous sommes tous en puissance seraient ainsi constamment « bombardées » d’ondes nocives, un véritable « rouleau compresseur » à l’origine de « symptômes terribles », dont rien de moins que des « tumeurs cérébrales ». N’en jetez plus.

Si les rédacteurs d’Alternative Santé n’hésitent pas à condamner « l’insuffisance des expertises » pourtant menées par des organismes reconnus comme l’Anses ou l’Afsset, ils font quant à eux appel  à des « experts » dont la probité laisse plus qu’à désirer. Ainsi de la « journaliste et spécialiste du sujet Annie Lobé », pasionaria de la lutte anti-ondes et « journaliste scientifique » à ses heures perdues. Une spécialiste dont le manque de rigueur et les accusations à l’emporte-pièce l’ont déjà conduite à être condamnée – pour avoir écrit, notamment, que « les gens meurent sous les antennes » téléphoniques de l’opérateur SFR. Ce qui n’empêche pas, au contraire, la Jeanne d’Arc de l’électrosensibilité de profiter de chaque tribune médiatique pour écouler ses ouvrages à haute teneur anxiogène.

Mais pourquoi, finalement, s’obstiner à faire peur ? Pourquoi alimenter, sur un site dédié à la santé, même « alternative », une telle machine à fantasmes ? La réponse est, pour une fois, limpide. « Attention », prévient ainsi un encadré judicieusement placé à la fin de la plupart des pages du site : « Les conseils (sic) prodigués dans cet article ne vous dispensent pas de consulter un praticien des médecines alternatives. Vous pourrez en trouver un près de chez vous et prendre rendez-vous sur annuaire-therapeutes.com ». Un annuaire édité par la même société qu’Alternative Santé et dont les professionnels (près de 30 000 se félicite le site), doivent débourser jusqu’à 19 euros par mois pour figurer dans ses pages.

Surfer sur des angoisses aussi contemporaines qu’infondées ; entretenir la confusion et la peur chez des personnes désorientées ; les diriger, enfin, vers des praticiens « alternatifs » qui paient rubis sur ongle le droit de figurer dans l’annuaire que vous éditez vous-même : le système Alternative Santé est bien rodé. Difficile, en revanche, de déterminer qui en est la première victime : la science, foulée aux pieds, ou les électrosensibles, floués avec le plus parfait des cynismes ?

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