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Traçabilité du tabac : le Parlement européen tance la Commission

Le 17 janvier dernier, la ligne française sur l’épineux sujet du commerce du tabac a fini par faire résonner les murs de l’hémicycle du Parlement. Par quel biais ? Le Réunionnais Younous Omarjee, député européen et membre de la Commission « environnement et santé », a déposé une demande de rejet des actes délégués de la directive tabac récemment adoptés par la Commission européenne. La raison est simple : cette dernière voudrait accorder aux cigarettiers le soin de contrôler eux-mêmes l’apposition des codes sur les paquets et cartouches de cigarettes, ainsi que la gestion et la transmission des données relatives à la production du tabac dans les usines.

Juge et partie

Pour Younous Omarjee, il est impossible d’accepter un tel dispositif : « Comment peut-on confier un rôle majeur aux cigarettiers pour le contrôle du marché illicite du tabac alors que pèse sur eux le soupçon de l’alimenter et de l’organiser ? La collusion entre les industries du tabac et la Commission européenne dépasse tout entendement« , a-t-il déclaré sur le site spécialisé Contrefaçon Riposte. Comme il le rappelle justement, cette directive a pour but de lutter efficacement contre le commerce illicite estimé à près du 12% du marché européen du tabac. Or, selon le député, « c’est à partir des usines de fabrication, que les cigarettiers sont soupçonnés d’organiser et d’alimenter le commerce parallèle qui se traduit par des problèmes de santé accrus et des pertes fiscales estimées de 11 à 20 milliards d’euros par an« .

Cette demande de rejet a pour conséquence directe de rouvrir le débat public et de pousser le Parlement à organiser un vote très prochainement. Pour réussir à faire réviser cette directive, Younous Omarjee va devoir convaincre plusieurs dizaines de députés européens du bien-fondé de cette action qui contrarie quelque peu le jeu des lobbies du tabac.

Loin des objectifs de l’OMS

L’adoption des actes délégués pose un problème éthique. Le député français parle même de « violation totale du Protocole de l’OMS ratifié par l’Union européenne ». Ce dernier, signé en 2012, prévoyait de mettre un timbre sur chaque paquet de cigarettes afin de tracer et de contrôler toute la chaîne depuis sa fabrication jusqu’à sa vente. C’est une institution publique qui devait se charger de ce nouveau système d’identification censé entrer en vigueur en mai 2019. Entre-temps, les lobbies du tabac sont passés par là en convaincant la Commission de les laisser choisir le système privé de traçabilité qui leur convenait le mieux.

De leur côté, les ONG ont tenté de se faire entendre. Mais celles qui ont essayé de dévoiler le jeu des cigarettiers ont été directement menacées par les puissantes multinationales. C’est le cas de l’European Network for Smoking Prevention (ENSP) qui a haussé la voix le 15 décembre dernier à la Commission exhortant celle-ci à respecter intégralement l’engagement international découlant du protocole de l’OMS. Selon La Lettre de l’Expansion, l’ENSP aurait, depuis, perdu sa subvention européenne ce qui menace son avenir et celui de ses 18 salariés…

Côté français, si on semble s’activer du côté de l’Europe, la mise en place d’une traçabilité efficace et transparente se fait encore attendre. La Cour des comptes avait pourtant alerté, dans son rapport du 13 décembre 2012, sur la nécessité de “mettre en œuvre sans délai les dispositifs de traçage des produits du tabac prévus par le récent protocole de l’OMS de lutte contre la contrebande”. Des conseils qui auront fait long feu.

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