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Brexit : un accord qui divise

Après de longs mois de tractations, et face à une contestation croissante, la Première ministre britannique Theresa May est parvenue à parachever son accord de sortie de l’UE dans un dernier coup de collier. Cet accord souligne les divisions autour du Brexit au Royaume-Uni et risque de plonger le pays dans un crise politique.

Le projet d’accord sur le Brexit négocié par Theresa May, dit « Chequers plan », a enfin été dévoilé mercredi 14 novembre. Ce document, long de 585 pages, comprend 185 articles. Il est le fruit de longs mois de négociations pas toujours évidentes entre Michel Barnier, représentant de l’Union européenne, et le gouvernement britannique. « C’était un choix difficile, particulièrement à cause de la question de l’Irlande du Nord. Mais la décision collective du gouvernement a été d’approuver le projet d’accord », a annoncé la Première ministre, assurant toutefois que l’accord avait été pris « dans l’intérêt de l’ensemble du pays ».

L’accord prévoit une période transitoire de 21 mois qui commencera à compter du Brexit lui-même – fin mars 2019 – qui pourra être prolongée une fois. Elle servira à Londres et Bruxelles à négocier le futur accord de libre-échange qui les unira. Durant ce laps de temps, Londres ne siégera plus dans les institutions et agences européennes, et ne pourra donc plus prendre prendra part aux décisions de l’UE, ni signer d’accords de libre-échange en son nom. Elle promet, en revanche, de payer ses engagements prévus dans le cadre du budget européen pluriannuel en cours (2014-2020), soit un montant compris entre 40 et 45 milliards d’euros.

En contrepartie, le Royaume-Uni resterait dans une union douanière le temps des négociations et aurait à ce titre accès au marché unique européen sans entraves. Par ailleurs, les Européens ont obtenu de engagements de Londres de respecter certaines normes sociales, environnementales et économiques afin d’éviter toute concurrence déloyale dans le cadre de cette union douanière. Cette solution permet également d’éviter la mise en place de contrôles douaniers entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande – un des sujets les plus délicats des négociations. Aucune solution n’a toutefois été trouvée pour cette frontière après le 31 décembre 2020.

Rien n’est non-plus dit sur le « passeport européen » de la City (qui lui permet d’offrir ses services dans toute l’UE). Ce silence « s’explique par la focalisation des négociations sur la question très politique de la frontière irlandaise, décrypte Christopher Dembik, chef économiste chez Saxo Bank. De ce fait, beaucoup d’autres sujets sont passés totalement à l’arrière-plan, comme celui de la finance. »

En outre, les citoyens européens établis au Royaume-Uni et les Britanniques établis dans un État membre de l’Union avant la fin de la période de transition pourront continuer à y vivre. De fait, les citoyens européens établis avant le 31 décembre 2020 obtiendront un droit de résidence permanente au bout de cinq ans de séjour d’un côté comme de l’autre. Enfin, la Cour de justice de l’UE garde sa compétence jusqu’à la fin de la période de transition – un point très controversé outre-manche. Un panel d’arbitres a également été créé pour résoudre les conflits persistants, mais sur les questions d’interprétation du droit de l’Union, la CJUE restera compétente.

A l’annonce du contenu de l’accord, le secrétaire d’État britannique pour l’Irlande du Nord, Shailesh Vara, le ministre du Brexit, Dominic Raab, la ministre du Travail, Esther McVey et la secrétaire d’Etat du Brexit, Suella Braverman ont présenté leur démission. Ils dénoncent un « renoncement inacceptable » – un abandon qui préfigure un débat houleux au Parlement britannique. Le gouvernement britannique doit en effet faire ratifier cet accord par la Chambre des communes – il s’y trouve très isolé, entre une opposition travailliste qui veut reprendre la main et sa frange nationaliste qui considère que trop de concession ont été faites à Bruxelles.

Le dirigeant travailliste, Jeremy Corbyn, a rappelé la position officielle de son parti : s’opposer à l’accord. « D’après ce que nous savons de la gestion honteuse de ces négociations, il est peu probable que ce soit une bonne affaire pour le pays », s’est-il défendu. Et la majorité risque également de perdre le soutien du crucial Parti unioniste démocrate, le parti pro-Brexit d’Irlande du Nord.

Jacob Rees-Mogg, une des principales figures eurosceptiques chez les conservateurs a immédiatement critiqué le texte : « Cet accord (…) nous empêchera de poursuivre une politique commerciale fondée sur nos priorités. Sans la capacité de réguler notre propre économie et de conclure nos propres accords commerciaux, nous perdrons les opportunités offertes par le Brexit » estime-t-il. Ce dernier a demandé l’organisation d’un vote de défiance contre la Theresa May, pour lequel il doit obtenir le soutien de 48 députés conservateurs. Mais cette motion, si elle réussit, pourrait également mener à al chute de la majorité conservatrice, faute d’un accord sur le remplaçant de Mme May.

Cette dernière a mis en garde, lors de la présentation de l’accord du risque une sortie sans accord (le fameux « no deal » qu’elle brandit depuis le début de la tempête), rappelant comme il a été difficile de s’entendre sur ce texte – « le meilleur accord que nous pouvions négocier » d’après la dirigeante. Celle-ci a également timidement ouvert la voie à un nouveau vote populaire sur le Brexit maintenant que le résultat des négociations est connu de tous. Elle avait jusque-là exclu tout second référendum. Selon un sondage datant du 5 novembre, en cas de nouveau vote, les partisans d’un maintien dans l’Union européenne l’emporteraient avec 54% des voix contre 46% de suffrages.

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