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Couacs à répétition des renseignements militaires russes

Une série de bévues au cours des derniers mois a mené à la révélation de l’identité secrète de dizaines d’agents des renseignements militaires russes, le GRU. Une attention dont l’organisme se passerait bien.

Longtemps dans l’ombre des services de renseignements extérieurs– le FSB, anciennement KGB – le GRU (la Direction générale des renseignements de l’état-major des forces armées), autre branche de l’intelligence russe, s’est retrouvé à la une des médias ces derniers mois. Au fil de couacs et des révélations, le service a beaucoup fait parler de lui. Et les conséquences ne se sont pas fait attendre : en seulement quelques semaines, quelques 305 agents ont vu leur couverture compromise – y compris les deux hommes impliqués dans l’affaire Skripal, un ancien agent russe devenu agent double.

Dans le sillage de la tentative d’assassinat contre Sergueï Skripal et sa fille Ioulia à Salisbury, en Angleterre, Washington avait alors ordonné l’expulsion de 60 ressortissants russes accusés de faire partie des services secrets. Quatorze pays de l’Union européenne avaient fait de même – dont la France et l’Allemagne, qui ont chacun renvoyé 4 personnes au pays. En dehors des ripostes diplomatiques à cette affaire, ces révélations ont été largement possibles grâce à une enquête commune de site d’investigation The Insider et du site britannique Bellingcat.

C’est leur divulgation, photos et témoignages à l’appui, de l’identité des deux agents du GRU, Anatoli Tchepiga, alias « Rouslan Bachirov », et Alexandre Michkine, alias « Alexandre Petrov » qui a mis le feu aux poudres. « Seuls 305 agents ont été révélés, mais aujourd’hui plus d’un millier sont paralysés », note Roman Dobrokhotov, rédacteur en chef du site d’investigation russe The Insider. Leur enquête à établir qu’un nombre important d’agents identifiés avaient un véhicule immatriculé à la même adresse – et à partir de là, ils sont parvenus à en identifier d’autres en recroisant leurs informations.

« Pour trouver qui se cachait derrière le pseudonyme d’Alexandre Petrov, nous sommes partis du postulat que le GRU avait conservé son véritable prénom et sa véritable date de naissance », raconte Roman Dobrokhotov, rédacteur en chef de The Insider. « Nous avons donc cherché dans une base de données de résidents de Saint-Pétersbourg, et nous avons trouvé une seule personne correspondant à ces deux critères. A partir de là, tout était facile : nous avons trouvé une voiture enregistrée à son nom à l’adresse du GRU, son numéro de téléphone, et enfin son véritable passeport. »

Quatre autres agents du GRU ont également été arrêtés en flagrant délit alors qu’ils tentaient d’espionner l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) basée à La Haye. S’il ne faisait aucun doute que ces individus appartenaient au renseignement russe, l’identification de leur « maison mère » a été possible grâce à une note de taxi qui retraçait leur trajet au l’unité militaire 26-165, une antenne du renseignement de l’Armée rouge. Par la suite, les enquêteurs ont remarqué que l’enregistrement du véhicule utilisé par les quatre suspects était à son nom et à une adresse du GRU.

« On peine à comprendre ce qui se passe, avec plus de questions que de réponses », s’interroge Andreï Soldatov, rédacteur en chef à Moscou du site agentura.ru et spécialiste indépendant des questions de sécurité. Les renseignements russes, qui avaient une solide réputation se retrouvent désormais mêlés à une avalanche de scandales. En réalité, historiquement c’est le FSB qui était chargé de la grande majorité des missions « actives » menées en dehors du pays. « Comme ils s’en sont aperçus, Internet est une arme à double tranchant », ironise l’expert.

« Le renseignement militaire en Russie a changé de rôle », confirme Alexandre Goltz, analyste militaire indépendant. « Au lieu d’essayer de comprendre les plans et les secrets de leurs adversaires, ils se sont engagés dans ce que l’on a appelé des ‘mesures actives’. Et quand vous vous lancez dans des opérations comme l’empoisonnement des Skripal, il est évident que vous allez attirer l’attention du contre-espionnage. » Or, leur formation ne prend pas en compte les questions de traçabilité, secondaires dans les agissements historiques du GRU.

« Ils ne sont pas entraînés pour ce genre d’opération », confirme Roman Dobrokhotov. « Le GRU est un service de renseignement militaire, ses agents sont censés agir dans un contexte militaire, et donc ils n’ont pas l’habitude d’effacer leurs traces… C’est pour ça qu’on les trouve aussi facilement ! » A noter que le Kremlin a toujours démenti ces accusations en les qualifiant de « calomnies ». Maria Zakharova, porte-parole du ministère russe des affaires étrangères, a même accusé The Insider d’être l’instrument de services étrangers.

« C’est faux bien sûr, mais c’est assez amusant car cela crédibilise plutôt nos informations » ont régi les intéressés. Pour Valeri Chiriaïev, ancien officier supérieur du KGB devenu vice-directeur du journal indépendant Novaïa Gazeta, « les dégâts causés à l’état-major et à la défense énormes ». Et ce en particulier dans l’affaire Skripal, où « la transformation d’un message terrible adressé à tous les traîtres d’Etat en un vaudeville honteux suscite un vif ressentiment ».

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