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Brexit : quelles solutions reste-t-il à Londres ?

Theresa May a résisté à la motion de défiance de son propre parti après son refus de faire voter son plan de Brexit, très impopulaire. Ce vote aux airs de victoire la laisse cependant dans une position impossible, qui reflète les divisions profondes du Royaume-Uni.

 

Cet article est une publication conjointe avec le site la France et le Monde, un de nos sites partenaires.

 

Theresa May reste en selle

On la donnait pour morte, mais Theresa May a survécu à une nouvelle tentative de renversement. La Première ministre britannique a échappé, mercredi 12 décembre, à la motion de défiance déposée par des frondeurs au sein de sa majorité. Ces derniers contestaient sa conduite des négociations sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Après des mois de divisions – en particulier sur l’accord qu’elle a conclu avec Bruxelles pour gérer la sortie de Londres, le 30 mars prochain – c’est son refus sine die, lundi, de faire voter le texte par un parlement hostile, qui avait mis le feu aux poudres.

De son propre aveu lors de l’annonce de ce report, l’accord tel quel n’avait aucune chance de passer. Elle doit donc améliorer sa proposition pour convaincre plus de MPs britanniques. Aussi, Mme May s’est engagée à se relancer dans une sempiternelle tournée des pays européens afin d’obtenir davantage de concessions et renforcer son accord. « Je me battrai de toutes mes forces », a déclaré la Première ministre. Une manœuvre qui a bien failli lui coûter son poste. Elle s’en sort finalement, avec 200 députés qui ont exprimé leur confiance et 117 qui ont dit ne plus lui faire confiance.

 

Une recherche de compromis sur la question Irlandaise

Si elle est très isolée au parlement, Mme May peut encore se prévaloir de tenir son parti – qui n’est, rappelons-le, pas majoritaire, et dépend du DUP irlandais pour gouverner. Ces derniers ont toutefois également annoncé leur intention de s’opposer à son plan de Brexit (dit accord des « Chequers »). Aussi, on voit mal comment, malgré sa victoire interne de mercredi, elle pourrait tourner les choses à son avantage. Malgré cela, Theresa May ne lâche rien – et pour cause, son accord est fidèle à ses deux engagements pour le Brexit : mettre un terme à la liberté de mouvement des personnes entre l’UE et le Royaume-Uni et ne pas établir de frontière avec l’Irlande du Nord.

Ce plan ne convainc toutefois pas grand monde. Les « Brexiters » purs et durs, qu’elle avait pourtant pris dans son gouvernement, et qui ont pris part aux négociations avec Bruxelles, crient à la trahison (trop de compromis) et appellent à une renégociation qui n’aura jamais lieu. Face à ces pressions, la dirigeante conservatrice va entamer une nouvelle itinérance en Europe – alors même que les dirigeants communautaires ont déjà annoncé qu’ils étaient fermés à toute renégociation. A défaut d’une réécriture, elle cherche des garanties sur la question du backstop, qui cristallise toutes les tensions. Il pourrait en effet faire rester l’Irlande du Nord au sein de l’UE et diviser le Royaume-Uni faute d’accord.

Mme May semble donc espérer un engagement moral des dirigeants européens – et il est fort à parier que cela ne soit pas suffisant pour convaincre les réfractaires à son accord. En outre, le backstop a été pensé comme une assurance qu’il n’y aurait pas de frontière physique entre l’Irlande et l’Irlande du Nord, en vertu du Good Friday Agreement (accord du Vendredi saint, qui a mis un terme à 30 années de guerre civile en 1998). Il est donc très improbable que Bruxelles, sous pression de Dublin, qui craint un retour des violences frontalières, ne cède quoi que ce soit d’important sur ce sujet.

 

Quelles alternatives au Chequers plan ?

Aussi, il ressort que le plan A de Theresa May ne soit guère plus que de la poudre aux yeux. Et il ne semble pas qu’elle ait de plan B – ayant encore récemment fermement exclu la tenue d’un nouveau referendum sur le Brexit. De fait, la dirigeante britannique semble retarder le vote fatidique de son plan de Chequers jusqu’au point de non-retour. A partir de ce point, elle pourrait tenter de surfer sur la vague de panique qui se lèvera à mesure que la date fatidique du 30 mars s’approchera, et tenter de passer en force. Un choix politique qui est décrit par certains comme une prise d’otage.

Alors que le temps manque, pour les Brexiters, les autres options évoquées sont des accords basés sur un modèle préexistant. En ce moment, un accord basé sur le modèle norvégien a la cote. Mais il suppose une perte totale de souveraineté ce qui n’est pas ce pourquoi les Britanniques ont voté lors du vote de mars 2016. Cela étant dit, les électeurs pro-Brexit n’ont pas voté pour le Chequers non plus – il implique un rapport très proche avec l’Union européenne, ce que certains rejettent en faveur d’une rupture plus radicale – et il n’est à ce titre pas plus légitime.

 

Les contradictions du Brexit

C’est la bataille entre le « leave » pro-accord – qui veut rester proche de l’UE et conserver les accords internationaux très favorables négociés par l’EU avec des partenaires non européens afin d’assurer une stabilité économique – et le « leave » souverainiste – qui veut une vraie rupture, la fin de l’immigration et développer de nouvelles relations avec d’autres partenaires en priorité, en dépit des pertes économiques importantes prévues à court et moyen termes. Chacun coûte inévitablement à l’autre, et les pro-Brexit peinent à cacher qu’il sera en réalité impossible de bénéficier des avantages de ces deux options.

Cette contradiction reflète la réalité des divisions qui existent au Royaume-Uni. Chacun se cache derrière la volonté populaire (« the will of the people ») pour défendre son bout de gras, mais il n’existe pas une volonté unique. Les points de vue et priorités varient d’une personne à l’autre, parfois ils évoluent, et le blocage institutionnel est en fait la résultante d’une société qui n’arrive pas à s’entendre. La conclusion logique de tout ce capharnaüm est évidemment le « no deal » (une sortie sans accord de l’UE). Mais il s’agit là encore d’une impossibilité factuelle.

 

La réalité du no deal

Le no deal impliquerait en effet que toutes les marchandises britanniques soient bloquées à la frontière pendant des semaines entières – peut être des mois – des avions bloqués au sol, des entreprises européennes collaboratives paralysées, un manque conséquent de produits aussi nécessaires que l’insuline, fabriquée sur le continent, et d’autres conséquences désastreuses. Pour rappel, d’après Her Majesty’s Revenue and Customs (Recettes et Douanes de Sa Majesté), en 2018, les échanges avec l’UE représentaient 51% des exportations et 55% des importations du Royaume-Uni.

Dans le même temps, certains partenaires non-européens de Londres (Etats-Unis et Australie en tête) ont déjà fait savoir qu’ils contesteraient les accords de libre-échange qu’ils ont avec le Royaume-Uni du fait de son appartenance à l’UE, ce qui créera une autre vague de difficultés. D’après eux, ces accords reflètent les conditions d’accès au marché unique européen (le plus important du monde) et Londres ne peut s’en prévaloir. Il faudra renégocier en position de faiblesse tous ces accords, alors même que le Royaume-Uni compte sur ces relations pour compenser ses pertes en Europe.

Le no deal ne pourra donc exister tel quel et sera en réalité une série d’accords ponctuels (des « side deals ») sur des questions spécifiques afin d’éviter le chaos total. Mais pour identifier les enjeux clés et négocier ces side deals, le temps commence à manquer. Là encore, ça n’est pas ce pourquoi le public a voté, et cette solution n’est pas plus légitime que le Chequers, la solution norvégienne ou toute autre. En réalité, il existe bien une multitude de Brexits, et chacun semble avoir voté avec une solution différente en tête.

 

Une crise politique profonde

Les pro-Brexit les plus virulents et Jeremy Corbin – au grand dam des nombreux travaillistes pro-européens – sont pris au piège d’un deal qu’ils n’aiment pas et ne leur ressemble pas. Ils appellent Mme May à écouter son peuple, tout en refusant de réellement lui donner une voix – un nouveau vote sur le Brexit. La seule solution serait pourtant de redemander aux citoyens britanniques ce qu’ils veulent, maintenant qu’ils connaissent toutes les options et leurs conséquences. Mais il s’agirait d’un référendum très compliqué, comprenant plusieurs questions (voulez-vous du Brexit – oui/non ? – Si oui, de quel Brexit voulez-vous ?…).

Beaucoup de voix se sont levées au Royaume-Uni pour expliquer qu’annuler la procédure lancée par l’Article 50 et un maintien au sein de l’UE régleraient cette situation impossible. Comme si le rejet du Brexit allait tout résoudre d’un coup de baguette magique. Elles font donc pression pour un nouveau vote populaire, encouragées par les sondages qui placent le « remain » et tête. Quelle serait alors la question posée aux britanniques ? Quid des 46% qui, d’après les derniers sondages, sont toujours pro-Brexit et qui se sentiraient trahis ? Autant de questions délicates auxquelles la classe politique britannique ne semble pas être en mesure de répondre.

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