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La France promet de taxer les GAFA dès janvier

Faute d’accord européen, la France annonce une taxe nationale sur les GAFA . Cette accélération de cadence est largement liée à l’appel d’air causé par la crise des gilets jaunes dans le budget national français.

La crise des gilets jaunes, dont la France semble être en train de lentement sortir, s’est imposée comme une des marqueurs déterminants du quinquennat du Président Emmanuel Macron. Cette crise protéiforme aura des conséquences dans une multitude de domaines, mais les premiers effets du mouvement se font sentir au niveau fiscal. Après l’annonce d’une sensible hausse du SMIG et d’un échelonnement des charges qui pèsent sur les retraités, nombreux sont ceux qui se demandaient qui allait porter la charge de ces « cadeaux fiscaux ».

Le ministre de l’Economie Bruno Le Maire a apporté un élément de réponde ce lundi. Faute de compromis au niveau européen, la France va mettre en place une taxe sur les géants du numérique (Google, Apple, Facebook, Amazon…) dès janvier 2019. « Si vous voulez aller chercher de l’argent […], il est chez les géants du numérique qui font des profits considérables grâce aux consommateurs français, grâce au marché français et qui payent 14 points d’imposition en moins que les autres entreprises, que les PME, que les TPE, que l’industrie française » a-t-il expliqué lors d’une intervention sur la chaine France 2.

 

La France prend de l’avance sur Bruxelles

Cette « taxe GAFA » veut anticiper une mesure européenne similaire, sur laquelle l’Union peine à trouver un consensus. Elle ne se limitera toutefois pas au chiffre d’affaires réalisé sur le territoire national, comme le suggéraient les négociations entre états membres, mais s’étendra « aux revenus publicitaires, aux plates-formes et à la revente de données personnelles », pour un montant total évalué à 500 millions d’euros par an. Une spécificité « à la française » qui s’explique certainement par le besoin de débloquer 10 milliards pour financer les mesures prises en réponse aux gilets jaunes.

Rappelons que les géants du numérique profitent de montages fiscaux complexes et de leur implantation internationale afin d’échapper à l’impôt dans les pays à la fiscalité importante, dont la Fane fait partie. Dans les autres, ils bénéficient souvent de marchés ad hoc très avantageux – grâce à cette optimisation fiscale, ils payent en moyenne 9% d’impôts contre 23% pour les secteurs traditionnels. Une injustice pour nombre d’observateurs. « La taxe s’appliquera en tout état de cause au 1er janvier 2019 et elle portera donc sur l’ensemble de l’année 2019 pour un montant que nous évaluons à 500 millions d’euros », a affirmé Bruno Le Maire.

 

Une Europe divisée

Le ministre des Finances n’a pas pour autant abandonné ses espoirs de voir un texte communautaire être adopté d’ici au mois de mars. « Notre détermination à obtenir avant le mois de mars 2019 une décision européenne est totale », a-t-il assuré. Il a dernièrement multiplié les entretiens avec son homologue allemand, Olaf Scholz. Début décembre, l’Allemagne s’était finalement ralliée à la vision française, en lui opposant toutefois que la taxe ne devrait que concerner les entreprises qui tirent leurs revenus de la publicité en ligne (nommément, Google, Facebook et peut-être Amazon dont les recettes publicitaires augmentent sensiblement).

D’après Monsieur Le Maire, il suffit désormais de « convaincre les quelques Etats qui restent opposés à cette taxation du numérique au niveau européen ». La proposition de la Commission européenne est une taxe portant sur 3 % du chiffre d’affaires de ces entreprises. « J’espère que l’Europe sera à la hauteur de ses ambitions et de ses valeurs », concluait-il, optimiste. Les mesures fiscales européennes nécessitent cependant une décision à l’unanimité. Or, l’Irlande, le Danemark et la Suède ont fait savoir qu’ils étaient farouchement opposés à ce texte – et fort est à parier que le Luxembourg, qui bénéficie d’une fiscalité très attrayante, fasse de même.

Plus délicat encore, Berlin, second ventricule de la politique européenne, a aussi émis des réserves. L’Allemagne souhaite éviter de provoquer la colère de Washington. Elle craint que Trump ne réponde à une telle taxe par des mesures de rétorsion contre son industrie automobile. En passant de taxes globales sur les importations européennes à des mesures ciblant certains pays, le Président américain essaie de diviser les états membres – et semble bien en train de réussir. Les GAFA demandent quant à elles que la question de leur fiscalité soit traitée globalement par l’OCDE – une plateforme où les discussions sont bloquées.

 

Une solution globale possible ?

En outre, si elles aboutissent un jour, pourraient être bien moins ambitieuses que la proposition de l’exécutif européen – l’idée de « scale without mass » (« l’échelle sans le poids »). « Nos travaux s’inscrivent dans un contexte international tendu, entre la montée des protectionnismes et la menace grandissante d’une guerre fiscale » reconnait Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE. Actuellement, 113 pays se sont engagés à travailler pour atteindre une solution commune, Chine et Etats-Unis compris. Ces deux pays sont toutefois opposés aux mesures « à court terme » proposées par l’UE.

La Pologne, la Slovaquie et la Hongrie ont acté leur soutien au projet européen, sans que cela ne débloque al situation. La France n’est pas le seul pays à avoir pris les devant les hésitations de plusieurs pays exportateurs de l’Union. Hors UE, l’Inde et à Singapour ont également décidé de taxer les multinationales du numérique. Enfin, l’Espagne et la Grande-Bretagne, ont déjà commencé à travailler chacune sur un projet de taxe GAFA, et l’Italie a promis de prendre une mesure similaire si l’UE ne parvenait pas à un compromis avant la fin de l’année. Mais une multitude de lois nationales risque de poser un problème d’harmonisation au sein de l’espace économique européen.

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