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Brexit : une marche inexorable vers le no deal ?

Le Royaume-Uni est en pleine impasse politique après le rejet cinglant de l’accord de Brexit de Theresa May. A mesure que l’échéance des négociations s’approche le no deal pourrait bien s’imposer malgré un rejet massif du peuple britannique, trop divisé pour s’entendre sur une alternative.

La semaine dernière, les députés britanniques ont spectaculairement rejeté l’accord de divorce négocié par Theresa May auprès de l’Union européenne. Ce vote sanction (l’accord a été recalé par 432 voix contre 202, soit la plus lourde défaite essuyée par un dirigeant britannique depuis les années 1920) laisse un gouvernement extrêmement divisé sur la prochaine étape à suivre. Pourtant, l’issue du scrutin était largement prévisible, tant les critiques pleuvaient de toutes parts.

Le Brexit de Mme May était en effet dénoncé par la gauche et les centristes, partagés entre le « remain » (la volonté de rester au sein de l’UE) et une renégociation de l’accord. En face, certains conservateurs plus modérés refusaient toute solution qui menacerait l’intégrité du Royaume-Uni en risquant de créer une frontière entre Londres et l’Irlande du Nord. A sa droite, enfin, les élus plus radicaux défendaient une position qui renouait avec une forme de jingoïsme, peu compatible avec un compromis.

Pourtant, tout laisse penser que la Première ministre n’a pas l’intention de modifier fondamentalement sa position. Pour elle, l’accord de divorce issu de ses longues négociations avec Bruxelles est le seul et le meilleur possible – et force est de constater qu’en matière de divorce, elle n’a pas forcément tort : l’UE refuse de se lancer dans un nouveau long et douloureux round de négociations probablement vain, et un « no deal » serait catastrophique pour l’économie britannique – mais aussi très mauvais pour l’UE.

Aujourd’hui, afin de tenter de débloquer la situation au parlement, Theresa May doit présenter une motion « neutre », qui sera l’objet d’amendements. Seulement, deux groupes de députés envisagent de court-circuiter la politique du gouvernement et lui retirer la conduite de la politique du pays. Le premier veut déposer un projet de loi qui donnerait au parlement le pouvoir de suspendre l’article 50 du Traité de l’UE, relatif à la sortie d’un état membre.

Cela permettrait au parlement d’annuler la procédure du Brexit en dépit de la volonté de la Première ministre de continuer ce processus. Le second veut un amendement interdisant en tout état de cause une sortie sans accord. « Si le gouvernement ne parvient pas à un accord (…) nous devons suspendre l’article 50 pour une période donnée afin de pouvoir forger un consensus et nous préparer davantage à la sortie », a expliqué la députée conservatrice Nicky Morgan.

Ces deux initiatives ont provoqué l’ire du gouvernement qui dénonce un coup d’état déguisé. Liam Fox, ministre du commerce extérieur, est monté au créneau : « Le parlement n’a pas le droit de prendre en otage le Brexit, car ce parlement avait dit au peuple : « Nous passons un contrat avec vous, vous prendrez la décision et nous l’honorerons ». Ce qui se passe aujourd’hui, c’est que certains de ceux qui ont toujours été absolument opposés au résultat du référendum, tentent de détourner le Brexit et de voler le résultat à la population », a-t-il estimé.

« Les députés qui font leur travail ne sont pas des conspirateurs », a rétorqué le député Hilary Benn, un des principaux opposants à la politique du gouvernement sur le Brexit à la Chambre des Communes. « Ils essaient de trouver une solution à la pagaille créée par la Première ministre ». Mais la situation est en réalité plus compliquée que ce que les deux camps affirment. Il ne s’agit pas d’une crise politique mais d’une crise démocratique dans un pays qui s’est pourtant caractérisé à travers son histoire par une certaine mesure politique.

Historiquement le Royaume-Uni est une démocratie représentative – le peuple y élit des députés qui le représentent à l’Assemblée (la Chambre des communes). Les parlementaires britanniques ont ainsi estimé que les termes du Brexit n’était pas acceptables. Cependant, ce vote est en opposition directe avec la démocratie directe, incarnée par la courte victoire du vote pro-leave lors du référendum sur le Brexit. Aussi, le peuple et leurs représentants sont désormais en porte à faux.

Pour rappel, le 23 juin 2016, le vote « leave » l’avait emporté par 51,89 % des voix (17,4 millions) contre 48,11 % pour « remain », (16,1 millions). Le taux de participation avait été de 72,2 %.

Compte tenu du fait que le résultat du referendum était si serré, une solution pour le gouvernement aurait été de mener une politique d’ouverture au centre, optant pour un compromis (« soft Brexit »). Mais Mme May a opté pour un « hard Brexit », négocié dans le plus grand secret par un gouvernement accueillant la frange la plus europhobe du parti conservateur – qui a fini par retourner sa veste et trahir la Première Ministre, devant les résultats décevants des négociations qu’ils avaient eux-mêmes menées.

Son accord n’a convaincu personne, et la position des deux camps (remainers et leavers) s’est depuis sensiblement radicalisée. De plus, les travaillistes refusent toute négociation avec elle tant qu’elle ne rejette pas clairement toute sortie sans accord (no deal). Leur leader, Jeremy Corbin, a même déposé une motion de censure pour tenter de renverser son gouvernement – ce qui favorise paradoxalement le « no deal », risquant de paralyser le pays à moins de cent jours de l’échéance des négociations.

Aussi, les perspectives d’un accord à cette date sont de plus en plus minces., Et il ne s’agit que des négociations autour de la sortie de Londres de l’UE. Une fois achevées, elles doivent donner lieu le 30 mars à une période de transition qui durera en principe jusqu’au 31 décembre 2020. Durant cette seconde période, Bruxelles et le Royaume-Uni sont censés négocier le futur de leurs relations à proprement parler (bien que le délai semble peu réaliste au vu du fiasco du premier volet des premières négociations).

Aujourd’hui, certains élus britanniques pensent que le Brexit est une mauvaise idée, mais se sentent obligés de le soutenir, car ils estiment qu’il s’agit de la volonté du peuple. Mais cela n’est en riencertain, compte tenu des réalités du Brexit depuis découvertes par les citoyens britanniques. Un large contingent d’électeurs avait en effet voté pour quitter l’UE au terme d’une campagne marquée par des mensonges depuis exposés et un optimisme dans les négociations est loin d’avoir produit les résultats escomptés.

Une porte de sortie à la crise semble être un nouveau vote du peuple, sur le Brexit, afin de de sortir de ce bras de fer infécond entre le parlement et le vote de 2016 et de s’assurer de ce que le peuple veut. Bruxelles, qui s’inquiète à mesure que le chaos se prolonge outre-manche et que la perspective du no deal se fait de plus en plus pesante, a même timidement ouvert la porte à un abandon du Brexit et un maintien de Londres dans l’Union.

« Si un accord est impossible et que personne ne veut d’un retrait sans accord, qui aura enfin le courage de dire quelle est la seule solution positive ? », s’est ainsi interrogé Donald Tusk, président du Conseil européen. « J’invite le Royaume-Uni à clarifier ses intentions dès que possible », a pour sa part réagi Jean-Claude Juncker. « Le temps est compté. » Mais une décision collective est de plus en plus improbable au vu des divisions actuelles, et le no deal – ironiquement rejeté par la majorité des britanniques – risque en définitive de l’emporter.

« Les Britanniques ont une fâcheuse tendance, ils ne sont unis que lorsqu’on leur donne le beurre et l’argent du beurre » résume ainsi Kevin O’Rourke, professeur d’histoire de l’économie à Oxford. « Si la Chambre des Communes prend les choses en main, lundi prochain, une majorité transversale pourrait émerger. Il faut l’espérer. Une sortie sans accord serait catastrophique pour beaucoup de gens » estime-t-il. Grosse journée pour les élus anglais, donc.

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