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Le Venezuela, nouveau point d’orgue de tensions mondiales

Alors que le bras de fer entre le Nicolas Maduro – dirigeant très contesté – et Juan Gaido – le Président de l’assemblée qui s’est autoproclamé dirigeant par intérim – se durcit, le Venezuela fait l’objet d’un nouvel embargo américain. A mesure que chaque camp compte ses soutiens, cette crise politique souligne des divisions mondiales plus durables qui se creusent.

 

Au Venezuela la crise semble avoir atteint un nouveau palier la semaine dernière. Alors que la répression armée tue chaque semaine un peu plus (29 morts la semaine dernière), l’inflation a dépassé le seuil de 10 000 000%, selon les estimations du FMI et la pénurie de nourriture et de médicaments s’aggrave. En récession depuis 2014, le pays ne peut même plus s’appuyer sur sa production de pétrole, qui s’est presque divisée par trois depuis le début des années 90, pour avoisiner le million de barils par jour – son niveau le plus bas depuis plus de 50 ans. Aujourd’hui, le taux de chômage s’établit à 34%, et plus de 90% des Vénézuéliens vivent dans la pauvreté d’après la Banque Mondiale.

Dans ce contexte catastrophique, le Président de l’assemblée Juan Gaido s’est autoproclamé Président par intérim la semaine dernière. « L’unique réponse du régime c’est la persécution, la répression », a dénoncé le jeune élu social-démocrate, encore inconnu il y a quelques mois. Il juge l’actuel dirigeant, Nicolas Maduro, illégitime et incapable de sortir le pays de la crise. La réélection de ce dernier, sur fond de boycott et de détournement du pouvoir du Parlement, est contestée non seulement par l’opposition, mais aussi une part substantielle de la communauté internationale. Pourtant, l’initiative divise les vénézuéliens – elle est tout cas loin d’avoir chassé du pouvoir le dirigeant chaviste.

 

L’armée, fidèle au régime mais divisée

La tension est croissante depuis une semaine, et hier, la Cour suprême du Venezuela – composée de proches de Maduro – a ouvert une enquête préliminaire visant Juan Gaido, notamment pour « des actions ayant porté atteinte à la paix de la République ». Elle a également ordonné le gel de ses comptes bancaires ainsi que le lancement d’une enquête à son sujet. S’il bénéficie du soutien d’une partie des institutions, Maduro peut aussi se targuer d’avoir l’état-major de l’armée à ses côtés. Cependant ce soutien n’est pas unanime, comme la souligné l’arrêt, puis la libération de Gaido, illustration d’une rupture dans la chaine de commandement.

Ce dernier a d’ailleurs promis une amnistie pour les militaires et fonctionnaires ayant pris le parti de Maduro et permis maintien au pouvoir depuis le début de la crise. « Aujourd’hui, nous sommes allés tendre la main (…) Soldat du Venezuela, nous plaçons nos espoirs en toi et en ton engagement envers notre Constitution », a-t-il déclaré, avant de les exhorter à ne « plus tirer sur le peuple ». Une main tendue qui n’a pour l’instant trouvé d’écho qu’après de l’attaché militaire du Venezuela à Washington, le colonel José Luis Silva. Ce dernier a annoncé samedi ne plus reconnaître Nicolas Maduro comme président légitime et a appelé ses « frères militaires » à faire de même.

 

Une communauté internationale bloquée

De son côté, Gaido peut compter sur le soutien de l’Organisation des États américains, du Brésil, du Pérou, du Canada, de la Colombie, de l’Argentine et du Chili. De plus, six pays européens ont donné jusqu’à dimanche à Nicolas Maduro pour convoquer des élections, faute de quoi ils reconnaîtront son adversaire : l’Espagne, l’Allemagne, le Royaume-Uni, le Portugal, les Pays-Bas et la France. A noter qu’Emmanuel Macron a été particulièrement virulent dans ses critiques Maduro pour des raisons de politique intérieure (crise des gilets jaunes et montée du populisme).

Gaido a également reçu l’aval immédiat de Washington – une prise de position qui ne l’a pas forcément aidé, tant elle donne des arguments à ceux qui l’accusent d’être une marionnette des services américains, sorte de Pinochet ou de Salvador Allende façon Caracas. Cette accusation envers Washington est, il faut le reconnaitre, en partie méritée – en tous cas, fondée sur une longue tradition de manipulations sur le continent sud-américain. Le régime de Maduro – et surtout son de prédécesseur, le fort en gueule Hugo Chavez – est, rappelons-le, une des bêtes noires des Etats-Unis.

Cette fois, la Maison Blanche a cependant joué cartes sur table. Le secrétaire américain au Trésor, Steven Mnuchin, a annoncé le gel des actifs de la compagnie pétrolière nationale vénézuélienne (7 milliards de dollars) et que ses paiements se feraient désormais sur un compte bloqué. Pour le débloquer, Washington demande « le transfert [de son] contrôle au président intérimaire (Juan Guaido) ou à un nouveau gouvernement démocratiquement élu ». Un garrot qui sera lourd de conséquences sur une économie déjà moribonde.

Maduro n’a d’ailleurs pas tardé à réagir à l’annonce en mettant fin aux relations diplomatiques entre le Venezuela et les États-Unis. Il a donné 72 heures aux représentants américains pour quitter le pays – ambiance ! Il a reçu le du soutien du Nicaragua, de la Bolivie et de Cuba, des pays au poids diplomatique limité. La Russie, et la Chine se sont également ralliées à la cause de Caracas – sans grande surprise, ces trois pays se revendiquant également plus ou moins directement de l’héritage communiste, étant des alliés historiques mais aussi des créanciers de Venezuela.

 

Les contours d’une nouvelle guerre froide ?

Plus étonnant la Turquie a elle aussi décidé de voler au secours de Maduro. Ce faisant, Ankara confirme son rôle de poil à gratter au sein de l’OTAN – s’opposant de plus en plus à l’UE mais surtout à Washington, dans un duel de fortes têtes. Les pratiques politiques musclées d’Erdogan (affaires judiciaires, personnalisation du pouvoir, répression de l’opposions et de la presse, survie à une tentative de putsch) le rapprochent de fait davantage de Maduro que des atermoiements des démocraties libérales. Mais la Turquie et le Venezuela connaissent également une improbable lune de miel. En 2018, le Venezuela a par exemple exporté vers la Turquie pas moins de 23 tonnes d’or – une opération de renflouement des caisses nationales, vidées par la crise que le pays traverse.

Derrière l’alignement pro et anti-Maduro, on retrouve peu ou prou les pays qui s’étaient prononcés en faveur ou en défaveur du régime de Bachar el-Assad en Syrie. Cette constance des divisions de la communauté internationale avec ceux qui d’un côté dénoncent de « l’impérialisme pro-américain » (ou parfois plus largement occidental) et ceux qui de l’autre critiquent le non-respect de droits de l’homme constitue-t-il les prémices d’une nouvelle guerre froide ? En tout état de cause, le conflit syrien aura été révélateur d’un nouvel ordre, plus multipolaire que binaire, mais fréquemment ramené à l’opposition des deux nouvelles superpuissances rivales que sont les Etats-Unis et la Chine.

 

Une nouvelle puissance régionale

Un pays fait exception dans ce climat de crispation : le Mexique. Le Président Andrés Manuel Lopez Obrador a proposé ses services de médiateur pour sortir de l’impasse politique, refusant de prendre partie clairement entre les deux rivaux. Ce faisant, il renoue avec la doctrine Estrada, que le pays avait abandonné depuis presque 20 ans. Un positionnement qui se veut un signal au reste du monde : avec le retrait du Brésil de la scène internationale, initié par son nouveau Président Jair Bolsonaro, il faudra débromais compter sur le Mexique. La chaise étant vide, le pays se voit prendre le leadership régional. Et ça n’est pas l’Argentine, plombée par une crise économique majeure, qui pourra lui barrer la route.

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