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Bouteflika, le mandat de trop ?

Dans plusieurs grandes villes d’Algérie, des dizaines de milliers de personnes ont protesté ce week-end contre l’annonce d’un cinquième mandat pour le Président sortant, d’Abdelaziz Bouteflika. Cet homme de 81 ans, très incapacité par la maladie, occupe le pouvoir depuis vingt ans. A Alger, où les rassemblements sont interdits depuis l’année 2001, la contestation se prolonge. De fait, il s’agit des mouvements sociaux les plus importants depuis les émeutes d’octobre 1988, qui avaient permis d’imposer le multipartisme en Algérie l’année suivante. Depuis, le Front de libération nationale (FLN), dont est issu Bouteflika, est toutefois resté la principale force politique du pays.

De fait, cloué à un fauteuil roulant depuis un accident vasculaire cérébral en 2013, Abdelaziz Bouteflika est aujourd’hui incapable de s’adresser directement à son peuple ou de recevoir les dirigeants étrangers. Il a cependant a annoncé dans un communiqué écrit son intention d’à nouveau concourir, soulignant sa « volonté inébranlable de servir la patrie ». Une candidature prise très au sérieux par une opposition très divisée : malgré sa maladie, il fait figure de grand favori à sa propre succession. Pour rappel, en 2014, il avait été réélu dès le premier tour, avec plus de 80% des suffrages exprimés (une performance renforcée par le boycott du scrutin par l’opposition).

 

Une grogne qui dépasse les clivages politiques

Si le mouvement a été lancé par le mouvement Mouwatana (Citoyenneté), qui regroupe des personnalités et des partis de l’opposition, il est aujourd’hui en train de se transformer en contestation sociale. Un groupe d’intellectuels a ainsi fait circuler une pétition pour exprimer son adhésion au mouvement ce weekend. « Notre engagement consiste à accompagner la société en marche. Nous devons nous engager à fournir les moyens politiques qui empêcheront que s’installe le vide qui permettra la reproduction d’un système politique usé » peut-on y lire. Les universités ont également commencé à se mobiliser.

Dans leur collimateur, on retrouve le statu quo, soigneusement entretenu par un certain nimbre d’apparatchiks devenus les principaux bénéficiaires d’une bureaucratie rentière. Les algériens qui manifestent critiquent donc la gérontocratie, et plus largement le fait que Bouteflika soit devenu, au fil de sa maladie, un homme de paille pour au profit de sa famille – tout particulièrement son frère Saïd, vrai titulaire du pouvoir, ironiquement lui aussi absent du pays pour cause de santé. Ce dernier est largement perçu comme à la manœuvre pour reprendre la main après son frère, malgré une impopularité grandissante.

 

L’Algérie en « phase prérévolutionnaire » ?

Si la colère contre le « clan » au pouvoir monte, les protestations sont à ce jour restées pacifiques. Mais les outils habituels du régime n’ont pas su le désarçonner (interdiction des manifestations, accusations de manipulations françaises et peur de l’Islam radical, nourrie par 10 and de guerre civile et les expériences ratés du printemps arabe). D’après Moumène Khelil, secrétaire général de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme : « Le fantasme de la récupération islamiste sur lequel joue le pouvoir n’a pas marché. Les manifestants sont venus des mosquées, mais également de leurs quartiers, de leurs maisons. »

La montée des tensions a fait affirmer à Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des Travailleurs  (opposition) que la pays était « phase prérévolutionnaire ». Un propos qu’il faut toutefois modérer. Si la colère vise la personne de Bouteflika, c’est que les Algériens savent depuis longtemps qu’on vote à leur place. Aussi, ils s’opposent au choix de l’homme qui leur sera imposé, tant par lassitude que pour l’image déplorable que la maintien d’un homme aussi réduit donne à leur pays. De fait, des portrait du Président sortant ont été arrachés – même parfois piétinés – dans plusieurs ville du pays, dont celui de de la grande poste, à Alger. Du jamais vu.

 

Pris de cours l’importance de la mobilisation, le régime désormais que le changement doit se faire par les urnes, pas par la rue. Mais sa mainmise sur le vote ne laisse guère d’issue favorable à l’opposition en cas de scrutin – et ce même pour Rachid Nekka, un algérien né dans le Val-de-Marne qui avait été un candidat malheureux à la présidentielle française de 2007. Grace à une stratégie très rodée sur les réseaux sociaux et un écoute de l’Algérie profonde, il a su s’imposer comme le nouvel homme à abattre pour le régime. Pour autant, ses chances de l’emporter restent très minces, et pour l’Algérie la transition politique dépendra encore largement du prix du baril de pétrole, qui force actuellement le régime à puiser dans ces réserves. Une politique qui ne pourra durer éternellement.

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