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France – Italie : la fin d’une fuite en avant ?

La visite secrète du vice-premier ministre italien à un groupe de gilets jaunes radical poussé Paris à rappeler son ambassadeur à Rome. Les Présidents des deux pays ont échangé pour tenter de mettre un terme aux tensions franco-italiennes, sur fond d’instrumentalisation politique de la rancœur anti européenne et anti française.

 

Un nouveau cap a été franchi dans le délitement des relations entre la France et l’Italie La semaine dernière. Jeudi 7 février, Paris rappelait son ambassadeur à Rome pour « consultation » après une nouvelle brouille avec Rome. Dans un communiqué très remonté, le Quai d’Orsay dénonçait des « accusations répétées », des « attaques sans fondement », des « déclarations outrancières » et des « ingérences » jugées sans « précédent depuis la fin de la guerre ».

Il fallait « marquer le coup » d’après Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement. « Quand un ministre d’un gouvernement étranger se rend en France, la bienséance […], la diplomatie la plus élémentaire veut que l’on prévienne le gouvernement et que l’on dise que l’on s’y rend », a estimé ce dernier. Une visite clandestine qui aura été faite en violation de tous les principes de bienséance et de retenue qui gouverne en principe les relations entre pays membres de l’Union européenne.

Si la France s’était jusque-là efforcée de garder la tête froide et d’ignorer les provocations d’un gouvernement italien très virulent, c’est aussi parce que les tensions entre les deux pays ont réellement décollé après une des désormais fameuses « petites phrases » d’Emmanuel Macron. Mais Paris s’est retrouvé dos au mur, après la visite en catimini de Luigi Di Maio, chef de file du Mouvement 5 étoiles (M5S, parti majoritaire de la coalition au pouvoir en Italie). Au terme de cette rencontre, l’intéressé avait poussé la provocation jusqu’à commenter : « le vent du changement a franchi les Alpes ».

 

La tentative de rapprochement avec les gilets jaunes

Ce dernier s’est rendu à Montargis sans prévenir les autorités françaises pour y rencontrer un groupe de gilets jaunes se réclamant de la liste Ralliement d’initiative citoyenne, en lice pour les élections européennes, et leur leader Christophe Chalençon (une des figures les plus radicales du mouvement). En réaction, Paris a décidé de faire « tapis », avec une réaction forte – pour certains disproportionnée. On voit en effet mal quelle suite à donner à une telle annonce. Peut-être était-ce là d’ailleurs l’intention de l’Elysée : monter le ton suffisamment pour s’assurer qu’il n’y aurait pas de relance possible.

Un rappel – si temporaire soit-il – d’ambassadeur est en effet un fait rare dans l’histoire de l’UE (censée justement éviter de type de confrontations). La montée des populismes et du nationalisme a toutefois poussé certains pays à y recourir ces dernières années. On se rappelle ainsi que la Grèce avait rappelé son ambassadeur en Autriche en 2016 après une réunion sur la crise migratoire à Vienne à laquelle elle n’avait pas été conviée. De même la Hongrie avait eu recours au même procédé après une brouille avec les Pays-Bas, très critiques du premier ministre Viktor Orban.

 

Une initiative qui divise les italiens

Entre le France et l’Italie, pays voisins et amis historiques, un désaccord de cette ampleur n’avait pas eu lieu depuis 1940. Une réalité que n’a pas manqué de rappeler une grande majorité de la presse italienne, très critique due la dernière provocation de son gouvernement. « L’Italie a beaucoup plus à perdre dans cette confrontation en se mettant dans une position d’isolement orgueilleux à un moment où les relations entre Paris et Berlin deviennent de plus en plus étroites » déplorait ainsi le Corriere della Sera.

Une indignation qui a également eu des échos au sein e la population Italienne : 200 000 personnes sont descendues dans les rues de samedi 10 février pour dénoncer les provocations du gouvernement italien – la premier mouvement de contestation pour l’alliance du M5S et de la Ligue du Nord, le parti ultranationaliste de Matteo Salvini. En face, la France était unie derrière le choix radical de son Président – à l’exception du Rassemblement national, qui pour une fois a oublié d’être patriote.

Autre déconvenue, des images du Premier ministre italien, Giuseppe Conte, reconnaissant le caractère planifié de cette manouvre lors d’une conversation informelle avec la chancelière allemande, Angela Merkel, en marge du Forum économique mondial de Davos (Suisse), ont fuité sur la télévision italienne. Impossible de jouer l’ingénuité dans ce contexte. Aussi, au vu des retombées plutôt négatives pour le gouvernement italien de cette offensive politique, la question du pourquoi se pose.

 

Le tentation d’une course à la francophobie

En Italie, l’absence de solidarité européenne dans la crise des migrants – et l’attitude de « donneur de leçons » d’Emmanuel Macron – ont créé un fort ressentiment contre l’Union, en particulier la France. Aussi, le gouvernement a décidé d’instrumentaliser ce sentiment et de « faire campagne contre la France ». Une stratégie mise en place par un truculant Salvini, qui multiplie les saillies depuis plusieurs mois. Ce dernier a d’ailleurs connu un regain de popularité important en conséquence.

S’il était minoritaire dans la coalition (18% des suffrages lors de dernières législatives), ses fanfaronnades lui ont fait prendre la première place d’après tous les récents sondages. Aussi, il est fort à parier que le M5S, en perte de vitesse, ait décidé de lui emboiter le pas afin de ne pas se faire phagocyter au sein de ce qui est encore sa majorité. Ce qui explique cette course malsaine à la francophobie pour récupérer des suffrages en vue des européennes – ou la Ligue s’engage comme grande favorite.

Pour l’heure, toutefois, l’Italie joue l’apaisement. Sergio Mattarella, le président italien, a contacté Emmanuel Macron pour enclencher une désescalade.  Au terme de cet échange, les deux chefs d’Etat « ont rappelé que la France et l’Italie, qui ont construit ensemble l’Europe, ont une responsabilité particulière pour œuvrer de concert à la défense et à la relance de l’Union européenne ». L’intention affichée est donc bel est bien de reparti sur des bases plus saines.

Dans le même temps, l’autre vice-Premier ministre italien, Matteo Salvini, a affirmé lundi être disposé à rechercher « de nouveau de bons rapports » avec le gouvernement français, voulant sans doute faire porter la responsabilité du couac au M5S. Aussi, en voulant s’aligner sur la position de la Ligue pour inverser la tendance et reprendre la main sur la politique italienne, il est probable que le parti populiste ait en réalité accéléré sa chute. A méditer.

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