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Lai Dai Han : la Corée du Sud accusée par un prix Nobel de la paix

L’étau se resserre autour de la Corée du Sud. Alors que Séoul refuse de reconnaître le viol de milliers des femmes vietnamiennes par des soldats coréens, la prix Nobel Nadia Murad plaide en faveur des victimes.

« Alors que les criminels jouissent de plus de droits, de plus de liberté et de plus de vie que leurs victimes, comment pouvons-nous rendre la dignité à ces femmes si tout le monde ferme les yeux sur les poursuites engagées contre leurs agresseurs et si l’on permet aux violeurs de jouir de l’impunité ? », s’offusquait le prix Nobel de la paix Nadia Murad le 16 janvier à Londres.

La militante irakienne des droits de l’homme, d’origine kurde et issue de la communauté yézidie s’exprimait lors d’un événement organisé pour mettre en lumière le sort des femmes vietnamiennes violées par des militaires sud-coréens après la fin de la guerre du Vietnam. « J’appelle la communauté internationale à assumer ses responsabilités pour protéger les femmes contre la violence sexuelle dans les zones de conflit », a lancé celle dont les efforts pour mettre fin à l’emploi des violences sexuelles en tant qu’arme de guerre lui ont valu la reconnaissance internationale.

Entre 1964 et 1973, environ 320 000 soldats sud-coréens ont été déployés pour combattre aux côtés des troupes américaines au Vietnam, selon l’association Justice for Lai Dai Han. Péjoratif, le terme Lai Dai Han (« sang-mêlé ») désigne les enfants vietnamiens nés de ces viols massifs. Leur nombre est estimé entre 5 000 et 30 000, et leur vie, ainsi que celle de leurs familles, est devenue un véritable calvaire. Ils sont victimes de racisme et d’exclusion sociale, professionnelle et économique en raison de leur ascendance étrangère et de leur absence de père.

 

« Faire davantage » pour rendre justice aux victimes

Alors que la Corée du Sud a demandé et obtenu des excuses du Japon pour son utilisation de « femmes de réconfort » (des femmes coréennes contraintes à la prostitution et victimes d’abus sexuels dans les bordels militaires japonais pendant la Deuxième Guerre mondiale), l’attitude de Séoul reste évasive concernant les femmes vietnamiennes violées et leurs enfants.

Le pays a même joué la carte négationniste par le passé. En 2013, le ministre coréen de la Défense avait déclaré par la voix de son porte-parole que « de tels massacres […] organisés par l’armée coréenne [étaient] impossibles. Si un incident pareil avait existé, il aurait été exposé et rendu public depuis longtemps […]. Vu que notre armée a exécuté sa mission sous des règles strictes, il n’y a eu aucune exploitation sexuelle de femmes vietnamiennes ».

Cependant, à mesure que la lutte contre l’utilisation systématique du viol comme arme de guerre progresse dans le monde, la pression devrait augmenter sur la Corée. C’est en tout cas ce que veut croire Nadia Murad, pour qui « il faut faire davantage afin de traduire en justice les auteurs de violences sexuelles ».

 

Occasion en or pour la Corée

Un avis partagé par Jack Straw, ancien ministre britannique des Affaires étrangères et ambassadeur de Justice for Lai Dai Han. « Nous comprenons tous à quel point il est difficile pour un gouvernement d’un État de reconnaître et de traiter les torts historiques qui sont des squelettes dans le placard. Mais l’attitude dans le monde a radicalement changé », a déclaré M. Straw à Londres. L’ancien diplomate est persuadé qu’il y a maintenant une plus grande sensibilisation au traitement des femmes en temps de guerre, en particulier grâce au mouvement #MeToo, qui a « mis en évidence les abus sexuels dans le monde ».

Le Vietnam pourrait en outre disposer bientôt d’une occasion unique pour envoyer un signal fort à la communauté internationale. Selon les informations du Telegraph, le pays a exprimé son intérêt pour accueillir le deuxième sommet entre les dirigeants nord-coréens Kim Jong-un et américain Donald Trump. Alors qu’il devrait participer à ce sommet, le président sud-coréen Moon Jae-in pourrait profiter de l’occasion pour faire une demande d’excuses en bonne et due forme aux femmes vietnamiennes et leurs enfants.

Le geste serait d’autant plus puissant que l’amitié entre le Vietnam et les États-Unis sont l’exemple même de la possibilité, pour deux États, de se réconcilier. « Hanoï, en tant que ville, montre comment, en une seule génération, les relations diplomatiques peuvent passer de l’hostilité à la collaboration et au soutien mutuel », affirme dans les pages du Telegraph Vu Minh Khuong, professeur associé à la Lee Kuan Yew School of Public Policy de l’université de Singapour. Aux Sud-coréens de se laisser inspirer par l’histoire.

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