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Thaïlande : Maha Vajiralongkorn consolide son pouvoir en faveur d’un couac législatif

La princesse Ubolratana, sœur aînée du nouveau monarque, a semé le trouble en présentant sa candidature lors des élections législatives en Thaïlande… avant de démissionner tout aussi promptement et provoquer une grande confusion.

Les élections législatives thaïlandaises, prévues pour le 24 mars prochain, s’annonçaient sans grandes passions. Le candidat de la junte militaire, soutenu par l’élite royaliste allait sans doute l’emporter sur fond d’abstentions massive, et le statu quo allait pouvoir perdurer. Un constat résigné qu’a fait voler en éclats la princesse Ubolratana, sœur ainée du roi, lorsqu’elle a annoncé sa candidature. Non seulement un membre de la famille royale allait concourir, mais en plus elle le ferait sous les couleurs du parti Thai Raksa Chart, lié au clan politique de l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra.

Cet homme d’affaires thaïlandais, ancien policier, en exil depuis 2008, est une des figures de proue du mouvement réformiste du Front national uni pour la démocratie et contre la dictature, ou « chemises rouges », principal opposant au régime militaire conservateur qui dirige le pays. Il a porté deux premiers ministres au pouvoir, très rapidement renversés par l’armée, l’un en 2006 (Thaksin lui-même), l’autre en 2014 (sa sœur). Tous deux avaient lancé de grandes politiques de réformes qui ont laissé certains croire qu’ils pourraient abolir la monarchie parlementaire, instaurée en 1932.

La junte dans l’embarras

Ubolratana a annoncé se présenter pour « travailler avec sincérité et détermination pour la prospérité de tous les Thaïlandais ». Cette femme excentrique qui été déchue de ses titres de noblesses en 1972 après avoir épousé un Américain – dont elle a par la suite divorcé – a dit concourir en tant que « citoyenne » et « roturière ». Elle conserve toutefois l’aura de la famille royale, quasiment divinisée (le monarque, ou devaraj, est connu sous le nom de « roi dieu »), ce qui mettait dans l’embarras Prayut Chan-O-Cha, Premier ministre sortant et dirigeant de la junte militaire qui a pris le pouvoir en 2014.

Cette candidature donnait en effet du grain à moudre aux « chemises jaunes », classe dirigeante de Bangkok qui a régulièrement fait appel à l’armée (12 cous d’état depuis 1932) pour faire dérailler l’opposition dès que celle-ci s’éloigne trop de l’idéologie monarchiste, religieuse et conservatrice qu’elle défend. Pour ces derniers la société est régie par un système complexe de valeurs traditionnelles, au sein duquel l’appareil démocratique ne joue en réalité que le rôle de rouage. Si ces derniers se sont servis de la popularité de la famille royale pour imposer leur vision politique, ils risquaient là de se retrouver arroseurs arrosés.

C’est d’ailleurs le roi Maha Vajiralongkorn qui a mis un terme à ce joyeux foutoir, et enjoignant sa sœur de jeter l’éponge. Dans un communiqué très ferme, il a qualifié cette candidature d’« hautement inappropriée » dans un pays où « le monarque et les membres de la famille royale sont au-dessus de la politique ». Pourtant, peu ont cru à sa surprise, les deux étant très proches. La voie est désormais libre, le parti Thai Raksa Chart étant privé de leader peu avant l’élection, et le général Prayut a maintenant toutes les chances de l’emporter. Aussi, certains ont vu dans cette séquence une manouvre pour couper l’herbe sous les pieds de très populaires chemises rouges.

Maha Vajiralongkorn, grand gagnant de la manche

La riposte de la junte ne s’est d’ailleurs pas fait attendre : la commission électorale a demandé à la Cour constitutionnelle de dissoudre le parti Thai Raksa Chart. Dans le même temps, la chaîne Voice TV fondée par les enfants de Thaksin Shinawatra a été frappée d’une suspension d’antenne deux semaines sur demande de la commission nationale de radiodiffusion et de télécommunications, au motif qu’elle était susceptible de « provoquer de l’agitation dans le pays à l’approche des élections ». Un particulièrement mauvais signal à la veille d’élections qui devaient garantir le retour à la normale en Thaïlande.

La maladie puis le décès du roi Bhumibol en 2016 avait en effet servi d’excuse à l’armée pour se maintenir à la tête du pays. Elle avait pour mandat d’assurer la transition entre un monarque bien-aimé à son fils, figure beaucoup plus controversée – alors même que l’opposition était accusée de vouloir mettre un terme à la monarchie. La communauté internationale a alors plus ou moins joué le jeu, mais demandais un retour à la normale lors de ce scrutin.

Et c’est probablement davantage dans les rouages de cette transition qu’il faut chercher une explication à ce qui s’est passé. Sa sachant fragile car peu populaire, Vajiralongkorn semble avoir voulu renforcer sa position. « Le roi a discrètement élargi une emprise plus directe au cours des deux premières années de son règne », notait ainsi l’expert Paul Chambers. Il « met l’accent sur un contrôle personnel et unique sur les institutions de l’Etat et tout particulièrement sur les forces armées ».

Aussi, dans ce contexte, le roi aurait pu profiter de la situation pour rappeler à la junte sa fragilité devant une candidate aussi populaire que sa sœur, avant de venir la repêcher dans une magistrale démonstration de force. Fort est à parier que le général Prayut, qui s’est un temps vu perdant du scrutin, concède une partie de son autorité au nouveau monarque, à qui il doit son maintien. Ce dernier aurait alors les mains libres pour diriger un pays partagé entre une majorité qui lui est acquise et une opposition dissoute. Et tant pis pour le gant de velours.

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